Photo: Courtoisie, Émanuelle Burriel

La chute d’un empire au Périscope

La première de la saga des Lehman Brothers, Chapitres de la chute, un texte de Stefano Massini, a été présentée au théâtre Périscope le mardi 11 septembre dernier.

Au crépuscule du dixième anniversaire de la crise financière de 2008, le metteur en scène Olivier Lépine se lance dans la production de la pièce de Stefano Massini : Chapitres de la chute, la saga des Lehman Brothers. Cette saga en trois parties retrace la vie des frères Lehman et les différentes périodes dans celle de leur monument financier. Construite sur trois générations, elle traverse les grandes dates historiques du tournant du XXème siècle : l’abolition de l’esclavagisme, la guerre de Sécession, le Krach boursier de 1929, la deuxième Guerre mondiale… De violentes bourrasques qui, en dépit des dégâts causés sur le monde entier, ont permis aux frères Lehman de rebondir sur de nouvelles opportunités d’enrichissement. Massini raconte la construction du temple des Lehman avec une plume sévère, parfois corrosive, mais tout de même avec une pointe d’indulgence envers l’espèce humaine.

L’effondrement d’un château de cartes

Il est difficile de croire que les empereurs du capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui ont un jour été d’humbles marchands. Pourtant, Heyum Lehman, rebaptisé Henri par les douaniers d’Ellis Island à son arrivée en 1884, n’était pas si différent de tous les immigrants qui aspiraient à trouver une stabilité, une sécurité et l’espoir d’un quelconque succès aux États-Unis. Mais le goût de l’opportunité, de la chance peut-être, a poussé Henri et ses frères à voguer sur les grandes vagues du XXème siècle et à s’en servir comme moteur. Ainsi les Lehman ont été marchands, puis gestionnaires, puis banquiers. Ils ont fait de ce qui a un jour été matériel (le coton et le café) quelque chose de fictif : l’argent. Mieux encore, ils ont contribué à l’art de faire de l’argent avec de l’argent : «Si nous réussissons à faire entrer dans le crâne du monde entier qu’acheter, c’est exister, nous réussirons à renverser, chers messieurs, l’ultime barrière du «besoin». Notre objectif, c’est une planète Terre sur laquelle on n’achète plus rien par besoin, mais par instinct». Cette planète Terre court aujourd’hui à sa perte, entre autres en raison de la société de consommation compulsive qui a découlé des valeurs Lehman.

L’apogée du théâtre sociétal

Certains passages de la pièce montrent les frères Lehman et leurs descendants comme étant de petites choses au service d’un des monstres de notre société capitaliste qui, à force de se laisser appâter à la petite cuillère, a fini par leur dévorer le bras : «À vouloir à tout prix rejoindre les cimes, il est à parier que plus dure sera la chute». Ils sont tombés dans le gouffre de la suffisance de soi et de l’illusion de l’immortalité et y ont entraîné le monde entier avec eux. Les œuvres artistiques telles que celle de Massini ont le potentiel d’éveiller les populations sur ces enjeux qui nous touchent de près, notamment au Québec où le taux d’endettement atteint les 170%. Les Lehman n’étaient, au départ, pas plus que des marchands de tissus sur le coin d’une rue. Ils se sont battus pour prendre leur place dans le monde des finances. Ils ont succombé au désir de gloire. Finalement, ils sont du plus commun des mortels. Cela donne à réfléchir quant à nos actions quotidiennes, nos projets et nos investissements, que nous parlions de biens ou d’énergie, de toute manière, tout se gagne. Ce qui compte, c’est la façon dont cela se fait.

 

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