Créations littéraires pour un été chaud

Cet été, on balance les notes de cours et on plonge dans une piscine de bons livres. En guise de saucette, Impact Campus vous propose trois créations inédites à déguster sans modération.

La bohème en moins romantique

Noémie Doyon

C’est la première fois que je baise dans mon appartement.

Il n’y a qu’une seule pièce et elle est ronde. Au milieu, on a mis un lit et près du mur une cafetière. Le reste est vide, pour le moment.

Léo se lève. Il marche nu dans l’appartement. Je trouve ça drôle, mais je ne ris pas. Je m’assois en indien et mes pieds sont froids contre mes cuisses. Il ouvre les grandes fenêtres de notre cuisine fictive. J’imagine que les gens qui passent en bas peuvent le voir, je lui dis.

« Rien à foutre », qu’il répond.

Léo me regarde. Il ne sourit pas, je sais à quoi il pense.

Je me recouche sur le ventre et je soulève mes fesses. Il s’étend sur moi. Je bouge un peu et il me pénètre. Nos corps sont lourds, fatigués, mais on baise encore. Encore une fois.

Je me rhabille et Léo aussi. On descend un immense escalier et dans la rue je le prends par le bras. Il entre dans un restaurant et je le suis, il commande deux grilled cheese avec du jambon pour emporter. Léo veut qu’on mange en marchant, il dit que « sinon c’est pas l’été ». Je comprends, et notre souper dure presque un kilomètre.

On décide de ne pas dormir parce que c’est une perte de temps. J’achète de la bière, on s’allonge sur le gazon et on attend l’aube.

L’aube arrive et alors on remonte dans notre appartement.

Je fais du café. On a ni sucre, ni lait, ni crème. Et c’est bien comme ça.

 

Le Rednecking

Paul Dubé

L’été où j’ai déménagé à Limoilou, j’ai remarqué que des personnes semblaient passer leur journée sur leur balcon. Souvent, ils me regardent passer en tournant la tête lentement, me suivant du regard, comme des vaches qui cessent de brouter pour saluer le train. La plupart du temps, c’est une personne assise tranquillement dans sa solitude, sur une chaise antique. Parfois aussi, plus gênant, c’est un groupe de personnes qui cesse de parler quand on marche près d’eux. Une impression sourde et désagréable de jugement.

C’était mon premier appartement avec un balcon, et j’ai voulu en profiter. Avec mon colocataire et ami, on a inventé le « Rednecking ». C’est assez simple, cela consiste à se tirer une bûche sur le balcon, avec une bière, et juger les gens qui passent. Exactement comme le cliché d’un redneck du Texas, assis dehors, dans une chaise berçante, avec un fusil et une vieille couverte. Bref, on s’est vite rendu compte que nous faisions de l’anthropologie appliquée.

Nous savons par exemple que l’été était arrivé quand les joggeurs se permettent de courir torse nu. Nous avons également appris que chaque bac bleu de recyclage est fouillé tous les jours – et parfois la nuit– par des clochards. Aussi, nous nous disions que certains couples auraient avantage à s’acheter des rideaux lorsqu’ils se lancent dans le repeuplement du Québec.

Mon souvenir préféré de « Rednecking » est probablement le cycliste qui est passé vers minuit, avec des tubes fluorescents dans les rayons de son vélo. Il trimbalait une petite radio qui jouait trop fort. On aurait dit qu’il se croyait sur Grande-Allée dans une Civic neuve, mais il roulait en vélo, à sens inverse, sur de l’Espinay. Au moins, il se dirigeait vers l’hôpital Saint-François d’Assise.

 

PH Nocturne

Julien St-Georges Tremblay

Le bleu est profond, enveloppant. Les vagues meurent doucement dans le filtreur, un clapotis funèbre. Elle n’a plus le goût de nager; elle dérive dans cet espace aquatique public, désert. Elle a presque l’impression d’entendre sa peau plisser sous l’effet répété de sa propre ondulation; Catherine ne flotte plus, elle oscille.

Elle goûte cette eau chlorée et se sent caler. L’air s’échappe de ses narines, elle lève la tête en suivant du regard cette colonne de bulles qui montent à la surface.

Ses tympans ressentent la pression sourde de l’eau, qui devient bruyante. Malgré ce bruit apaisant, elle n’arrive pas à faire taire Maxime, ses paroles résonnent partout dans sa tête, même à cinq mètres de la surface. Elle finit donc par remonter.

L’air de juillet est beaucoup plus mouillé que le contenu du bassin. Il laisse une saveur stagnante sur les lèvres de Catherine. Elle y passe sa langue pour tenter d’enlever la moiteur, rien n’y fait… Tant pis. Elle immerge sa bouche, puis recrache une lampée d’eau. Elle aime le goût du chlore, presque assez pour en boire. Presque.

Un morceau de bois autour duquel sont entortillés des poils inconnus. Le silence devient gênant, un peu dégoutant. Elle commence une brasse légère pour s’éloigner du motton. La piscine est moins grande qu’elle croyait, elle doit s’arrêter ou changer de direction. Ce qui était d’abord une fuite devient un exercice. Elle souffle l’eau devant sa bouche en une suite de petits nuages mouillés. Elle a l’impression qu’elle nage mieux avec ces nuées de minuscules gouttelettes claires devant ses yeux. Elle se prend au jeu qu’elle a créé.

Les bouffés d’air humide ne suffisent plus, elle s’essouffle et préfère retrouver le fond rugueux du pas creux. Les marches sont parsemées de petites pointes qui semblent acérées pour sa peau nue, mais elle s’assoit tout de même. Le galbe de ses seins à demi immergé et le dos arqué, elle retrouve son souffle perdu.

Le silence revient, comme un hôte qui s’assure de la solitude de son invité.

Mais elle n’est plus seule.

Aucun bruit, mais un regard qui bouge dans l’ombre grillagée de la clôture donnant sur la rue des Trembles. Elle est nue. Le regard est habillé.

Les respirations de Catherine se rapprochent. Elle hésite à sortir de l’eau, ses shorts et sa camisole sont sous l’auvent, c’est loin.

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