Critique CD : Bernhari de Bernhari

Pochette noire, lettres dorées en grand format clamant un nom que seuls de rares initiés reconnaîtront : drôle d’objet que ce premier disque de Bernhari, qui, sûr de lui, semble promettre beaucoup en en dévoilant peu.

La première écoute, bien que non exempte de déceptions, révèle un produit finement calibré, alliant une musique parfois prenante malgré un caractère trop générique, des textes dont le lyrisme assumé frôle la grandiloquence et une voix unique, indéfinissable, aux intonations profondes et féminines. Alexandre Bernhari, autrefois membre des formations montréalaises L’étranger et L’ours, se met davantage en lumière avec ce projet solo, qui dévoile un univers foisonnant, mais d’une extrême cohérence.

Musicalement apparentée à cette vague de pop-rock atmosphérique qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis quelques années, l’œuvre de Bernhari souffre des défauts du genre, qui ne perturberont guère ses inconditionnels mais pourraient irriter les autres : la musique, entêtante, est victime d’une surcharge de guitares et de synthétiseurs, alors que sa souvent trop grande richesse texturale, loin de lui conférer l’originalité recherchée, la confond plutôt avec la masse. Ce péché commun serait plus aisément pardonnable si la voix magnifique du chanteur, obsédante, sensible et romantique, ne s’effaçait volontairement ­– c’est tout de même un comble – derrière les arrangements sur la plupart des pièces. Triste choix que de sacrifier ainsi son principal atout, d’autant plus que les textes auraient mérité un écrin moins clinquant, plus subtil.

Au-delà de ces quelques réserves, cependant, force est d’admettre que la première offrande de Bernhari est plutôt séduisante. La musique, d’une grande unité, se déroule en atmosphères puissamment évocatrices, dont les sonorités naviguent toujours entre le lyrique et le tragique, malgré les variations d’intensité. À cet égard, Emmanuel Ethier (Cœur de Pirate, Jimmy Hunt) a effectué un formidable travail de réalisation. Quant aux textes des chansons, teintés d’un romantisme révolutionnaire grandiloquent, ils se nourrissent tous à la même source poétique, jaillie de la crise étudiante du printemps 2012. Cependant, toutes les pièces ne possèdent pas le même souffle, et certaines ressortent avantageusement du lot. Sagard, magnifique hymne à la mobilisation et à la solidarité, et Kryuchkova, ballade tourmentée mais émouvante, sont du nombre. C’est néanmoins le couple formé par la dramatique Au Nord de Maria, splendide marche au souffle épique, et la douce et amoureuse Éclipse (interprétée en duo avec Marie Davidson) qui offre le plaisir musical et poétique le plus abouti, formidable fulgurance au cœur d’un opus honnête et somme toute prometteur.

3/5

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