Critique du livre Le fil des kilomètres de Christian Guay-Poliquin

Le cœur du labyrinthe

  

Le fil des kilomètres

Christian Guay-Poliquin

Éditions La Peuplade

Une mystérieuse panne d’électricité pousse un mécanicien quasi trentenaire à retourner au bercail après un exil de dix ans passés dans une cité pétrolifère où les journées de travail sont longues et les nuits, « sans ciel et sans rêves ». Les quelque quatre milliers de kilomètres qui le séparent de son village natal, un ancien bled minier caché quelque part dans le Québec profond, ne lui importent pas. Sa mission : revenir près de son père vieillissant, rongé par ce « cancer de la mémoire » qui le rend inapte à la vie, afin de réparer les pots cassés par le temps et la distance. Au fil des kilomètres, tel un Ulysse poussé dans le chaos d’une Amérique paralysée par la noirceur et la peur, il avance sans savoir ce qui l’attend, s’il se rendra à destination ni même si on lui ouvrira les bras, une fois arrivé.

Dans Le fil des kilomètres de Christian Guay-Poliquin, on suit le chemin de Compostelle que le jeune mécanicien entreprend depuis son appartement délabré de la côte ouest-américaine jusqu’à la maison familiale. Empêtré dans ce labyrinthe où le seul temps que l’on compte est celui s’étant écoulé depuis la perte du courant, il avance à l’aveuglette avec sa mémoire pour seul fil d’Ariane. Au gré des changements de décors, des rencontres et des pleins d’essence, le jeune mercenaire, sans regarder derrière lui, traverse cet endroit hostile peuplé d’hommes avilis par la peur et le manque de ressources. L’auteur, actuellement doctorant en études littéraires à l’UQAM, nous peint dans son premier roman une fresque contemporaine à saveur mythique, une quête des origines où se mêlent les fabulations et le réel. Située quelque part entre l’Odyssée d’Homère et le Volkswagen Blues de Jacques Poulin, cette épopée est celle d’un homme bien ordinaire qui se destine à vaincre son Minotaure, bête légendaire qui n’est en fait qu’une puissante métaphore d’une relation père-fils qui ne demande qu’à être sortie d’un coma vieux d’une décennie.

La plume de l’auteur est toute à l’image de son propos. La narration, tout comme la longue route qui se dresse devant le personnage principal, s’avère tantôt longue et sinueuse, tantôt bien rythmée et imprévisible. Quelque peu lente à démarrer, comme la vieille bagnole capricieuse, mais fidèle du mécanicien, l’action est néanmoins bien servie par une écriture d’une précision chirurgicale qui martèle la solitude et l’entêtement sans négliger un brin de poésie. Plus encore, Le fil des kilomètres remet en perspective l’urgence d’agir dans un contexte de fin du monde et révèle la simplicité de la psyché de l’homme qui, en se distanciant des conventions et de l’ordre établi, doit inévitablement aller à l’essentiel. Ne reste plus qu’à choisir entre l’amour d’un père et les biens matériels, entre la pérennité et la survivance la plus tribale.

 

 

 

 

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