Critique littéraire : Carnaval de Rawi Hage

Carnaval
Rawi Hage
Alto

Où est le cirque ?

Mesdames et messieurs, bienvenue. Au programme pour le carnaval, Fly nous invite à monter dans son taxi, en cinq actes. Chacun composé de courts chapitres thématiques, on suivra les élucubrations du personnage sur une foule de sujets. Dans une écriture rocambolesque, carnavalesque et même parfois grandiloquente, Hage nous convie dans ce double univers, où l’on passe de courses de taxis épiques aux tapis volants de son père. À la manière d’une encyclopédie aléatoire sur le personnage, le fil du récit est aussi décousu et insaisissable que celui des conversations de chauffeurs de taxis, qui varient selon sa clientèle et qui se terminent abruptement à la fin du trajet.

Lorsque Fly arrive en Amérique, il choisit sa ville pour le carnaval. Or, ce carnaval, on ne le voit jamais, on le sent. Le véritable carnaval, il se joue sur les bancs arrières de son taxi, dans son bloc appartement miteux, dans la vie de tous les jours dans ce qu’elle a de plus sale et de plus crasse, semble-t-il nous dire. Ce ne sont pas que ceux qui participent au carnaval qui portent des masques. On charge contre le conformisme pour mieux le confronter ? Où est le véritable carnaval, nous dit le récit ? Quelle est la norme et pourquoi ?

Hage déploie son récit comme une toile d’araignée, où Fly prendrait la place centrale, lui permettant d’aborder des thèmes aussi variés que ceux du cirque, de l’univers du taxi, de la critique sociale, de la maladie mentale et de la littérature. Avec ce carambolage de thèmes, on s’égare un peu. Des univers aussi denses et codifiés que ceux du taxi et du cirque sont déjà difficiles à allier et la surenchère brise la vraisemblance. Mais, comme Hage nous convie à un carnaval, la démesure se justifie. Cependant, parfois elle déborde. À vouloir tout aborder, on tombe dans des lieux communs. On regrette les critiques sociales radicales et sans nuances de certains personnages, qui donnent l’impression d’avoir été greffées au récit pour lui donner un ton moralisateur. Toutefois, elles ne sont pas sans faire écho à l’univers des chauffeurs de taxi, qui comme témoins de la vie des gens, se permettent parfois d’en faire des leçons. On a aussi parfois du mal à croire qu’autant de marginaux soient passionnés par les livres. Certes, Fly est charmant lorsqu’il évoque son appartement où croulent des énormes piles de livres, mais on sent que l’on tombe dans un fantasme de l’auteur, qui voudrait que tout le monde lise énormément, que dans des traits de personnalités des personnages qui servent à faire réellement avancer l’histoire.

Rawi Hage nous présente un monde en manque. En manque de carnaval, de démesure, de folie. Un monde réprimé, qui une fois privé du carnaval, tombe dans la marge, le domaine de la psychiatrie, le monde des parias. On lira Carnaval pour dériver doucement avec Fly à bord de son taxi, ou de son tapis volant.

Laurence Vinet

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