Critique littéraire : Demoiselles-cactus de Clara B. -Turcotte

Demoiselles-cactus

Clara B. -Turcotte

Leméac

Ça fait mal, et puis ça fait du bien

Mélisse est une marginale aux ambitions ordinaires. Elle n’est ni belle, ni laide et s’en préoccupe plus ou moins. Elle a un goût prononcé pour les aliments en conserve, les chats et les longues siestes. Son corps allergique à tout, même aux humains, et son esprit rose pâle sont soumis aux sauvageries de son désordre alimentaire, mais ce n’est pas de ça qu’on parle. Mélisse suit souvent ses intuitions et prend plaisir à consacrer ses journées à la découverte de bibliothèques montréalaises et à la consommation de drogues aléatoires. C’est d’ailleurs ce qui la mènera à remarquer le penchant pédophile de son amoureux qui n’accepte que trop bien son apparence de femme qui veut rester fille.

Clara B. -Turcotte nous offre, avec Demoiselles-cactus, un séjour épique et brutal dans une dimension bien réelle qu’on associe trop souvent à la fiction, faute d’y trouver repères et stabilité. Installé bien inconfortablement dans un recoin de la tête d’un personnage principal obsédé par les pilules pour dormir et par l’envie de se faire vomir, le lecteur est perturbé par l’histoire et bercé par la prose. Tout en aisance, l’auteure verse ses mots comme du sirop sur des crêpes. Ses phrases vont et viennent comme une fourchette, de notre bouche à notre assiette. Demoiselles-cactus est pour le lecteur ce qu’est une mousse au chocolat pour un diabétique sans dentier.

La seule chose qu’on pourrait reprocher à ce premier roman de Clara B. -Turcotte, ce sont les longueurs et la presqu’absence de dialogues. La majorité des paragraphes, destinés à décrire les pensées du personnage, rendent parfois la lecture essoufflante parce que condensée. Il ne faut toutefois pas négliger l’apport de ce choix narratif, car des plus significatifs pour mettre en relief psychologie de la protagoniste. C’est d’ailleurs la conscience de Mélisse, qui chaloupe entre lourdeur et légèreté, qui ponctue l’histoire dont l’intrigue vient particulièrement tard.

Demoiselles-cactus n’est pas pour autant un roman inintéressant, puisque c’est l’originalité qui véhicule le récit et la prose. Autant sur le fond que sur la forme, il s’agit d’un livre qui se démarque par son ambition et par sa proximité au réel. C’est une œuvre dont les idées viennent choquer bien comme il faut et dont l’ambiance, à la fois pesante et mollasse, est soutenue de tout son long.

Une fois la quatrième de couverture refermée, on laisse une amie amorphe, invisible. C’est un sentiment étrange qui habite le lecteur après Demoiselles-cactus. On voudrait dire pourquoi, mais on ne saurait comment. C’est quelque chose de difficile à expliquer, une émotion qui ne se prétend pas belle ou laide. C’est simplement là, entre la joie et la tristesse. Bien au-delà de l’indifférence.

4/5

Consulter le magazine