Critique littéraire : Go West, Gloria de Sarah Rocheville

Go West, Gloria

Sarah Rocheville

Leméac

 Exister sur le bas-côté de la vie

Gloria, une jeune femme dans la vingtaine, quitte subitement les Cantons-de-l’Est pour la plaine manitobaine. Son père Jacques, condamné par le cancer, embauche un tueur à gages pour mettre fin à ses jours avant que la maladie l’emporte de façon humiliante. Les deux protagonistes ont une ultime discussion, où Jacques monologue, distillant pour sa fille ce qu’il croit être sa sagesse dans le confinement d’un habitacle de Lexus. C’est par l’alternance de leurs paroles et de leurs pensées que se construit la trame du roman. « Comme cela nous est doux, de ne pas être nous » est peut-être ce qui articule la fuite de la fille et la confession du père.

Gloria préfère se laisser porter, contempler le théâtre du monde en simple spectatrice. Dans sa vie, elle évite les vivants et s’occupe des morts dans un salon funéraire : c’est plus simple ainsi. Son départ vers l’Ouest tient de la retraite plus que de la prise en main. De son côté, Jacques se qualifie de gambler. À l’opposé de Gloria, il habite un monde « dont il est la cause » et en tire un profit qui n’est pas de ceux qui enrichissent la nature humaine. Le gambler devient une sorte de prédateur, voire un parasite.

Rocheville nous plonge dans les pensées de ses personnages. Parfois on s’y reconnaît, parfois pas. Les personnages ont tendance à s’emporter jusqu’au délire. Leur conscience s’égare en grandes envolées lyriques. Les paysages d’hiver de la plaine manitobaine revêtent une grande importance : Gloria s’y retrouve, isolée, et reprend conscience de son corps pour mieux se perdre dans l’immensité. Ce sont ces instants qui font toute la force du roman. La plume élégante et poétique de l’auteure surprend au détour des phrases, créant de petites chutes et ménageant un espace au rêve et au plaisir de lecture.

Toutefois, le récit a tendance, malgré sa brièveté, à stagner. Les deux voix qui le constituent ne dialoguent pas vraiment sans être en opposition directe. On se questionne alors sur le choix d’une telle structure. Le roman semble donc incomplet. On aurait aimé que jaillissent quelques étincelles de cette rencontre. Du côté du style, les emportements du père sont peu crédibles : on y voit trop la patte de l’auteure et pas assez la voix du personnage. Ces envolées deviennent parfois si lourdes qu’elles finissent par nuire au récit. On se demande souvent si le roman n’est pas plutôt un essai déguisé, forme qui finalement lui aurait mieux sied.

On lira donc surtout Go West, Gloria pour sa façon de dévoiler l’angoisse existentielle moderne et pour sa réflexion sur l’idée de saisir à la vie pour réinvestir le monde. Ce qui passe parfois par la prise conscience de son corps et de sa petitesse dans l’immensité de la géographie et par le flot des contacts humains.

 

Frédérick Bertrand

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