Critique littéraire : L’enfance de l’art

L’enfance de l’art

Jérôme Minière

Éditions XYZ

Par Minière, de Ducharme, pour Jacquemin

C’est l’histoire de Benoît Jacquemin, quarante ans et mitan d’une vie ordinaire, qui selon toute vraisemblance ne devrait pas constituer une matière bien intéressante pour un livre. Un beau jour, sans qu’il ne s’y attende, Benoît reçoit un tout petit et mystérieux microfilm par l’entremise d’un pigeon voyageur. Sa curiosité piquée à vif le mènera dans l’immense demeure du Duke of North East St-Hubert, Bill Johns, où il se liera d’amitié avec un moineau du Japon, verra Bob Dylan pratiquer et assistera à un cocktail dînatoire en son honneur. Tout cela, dans le but ultime de réaliser un rêve d’enfant : l’écriture d’un roman.

L’enfance de l’art raconte l’histoire de Benoît Jacquemin qui signe de son nom des textes de Réjean Ducharme préalablement transcrits par le Duke. Cette vaste mise en abîme, nécessaire pour suivre le fil conducteur du récit, remet constamment le lecteur en question jusqu’à le faire douter de l’auteur du roman lui-même. En lisant les dernières lignes et en refermant la quatrième de couverture, on vient toujours à se demander « Qui écrit? ». Est-ce Jérôme Minière, Benoît Jacquemin, ou bien Réjean Ducharme?

Peu importe au fond puisque l’histoire est puissante au point d’en faire oublier les mots, la prose, le rythme. La force de la narration et la délicatesse avec laquelle six autres nouvelles s’insèrent dans le récit font de L’enfance de l’art une épopée moderne des plus extraordinaires.

Et bien qu’extraordinaire, le roman est aussi une ode à la normalité, à l’ordinaire, à cet insaisissable « tout le monde ». « Mes parents appartenaient à la classe moyenne et j’ai vécu une enfance et une adolescence on ne peut plus normales. J’ai passé le bac avec des notes moyennes, puis étudié l’économie à l’université, sans me distinguer de la moyenne des étudiants. Être un type sans histoire me convient très bien. » Voilà qui résume la vie anodine du protagoniste. Dans un monde où l’on veut tous laisser notre marque, s’y identifier revient à rencontrer l’autre. Ce qui, en un sens, oblige à porter un regard plus sévère sur notre propre quête d’identité.

D’un point de vue plus formel, L’enfance de l’art aurait pu prendre l’allure d’un recueil de nouvelles rafistolé en roman grâce à une histoire banale, mais le roman se définit en un chœur où les éléments se font sans cesse écho. Passant d’un coup de téléphone à Dieu aux arbres qui ne grandissent plus, rien n’est laissé au hasard, tout a du sens. C’est là, la richesse de Minière.

Celui qui est encore aujourd’hui reconnu pour ses œuvres musicales peut maintenant être considéré comme un auteur de talent : son premier roman est un chef d’œuvre.

5/5

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