Critique littéraire : Les Variations Burroughs

Les Variations Burroughs
Sylvie Nicolas
Éditions Druide

Vieux livres, souvenirs et autres varias

La vie est pleine de surprises, dit-on. Elle a son lot de détours et « d’incongruités qui font que la vie prend une tournure insoupçonnée, inattendue », pour reprendre les mots de Sylvie Nicolas, première récipiendaire du prix Jean-Noël-Pontbriand en 2013 et poète maintes fois primée. Son dernier opus, tout récemment paru aux Éditions Druide, aborde le chemin parcouru comme la somme de tous les « évènements [s] inclassable [s] » et accidents de parcours d’un invidivu.

À la demande de son frère et complice, à qui elle destine son récit, l’auteure livre une suite de tableaux épars, ceux de la vie familiale d’avant « les sous-sols et la coulée des jours balafrant le petit nombre des beautés ». Bref, de lui montrer à quoi ressemblait la vie d’avant les tourmentes, quand tout était possible. Dans cette galerie de tableaux qu’on dépoussière à mesure qu’on les découvre, divers épisodes de la vie passée et présente de l’auteure se succèdent. L’insouciance des vacances chez les grands-parents en Gaspésie côtoie une vie familiale assombrie par une maturité trop vite acquise. La nostalgie d’une mère tantôt bienveillante, tantôt insaisissable, suit la quête de la guérison d’une rupture douloureuse, celle de l’auteure avec son amoureux. Elle nous raconte également la magie de découvrir Shakespeare, Maupassant et Saint-Denys-Garneau à travers la boîte de livres que son frère lui a offerts tout jeune et les bienfaits de la mer gaspésienne qui ressource les âmes tourmentées. Au fil des chapitres, l’auteure tire de sa mémoire les souvenirs qui portent la trace des variations ayant jalonné sa vie et son écriture, comme on sort méticuleusement et sans ordre précis les objets d’une boîte précieusement gardée.

Ainsi le livre se construit autour de quelques cassures et autres déchirements qui ont obligé l’auteure « à rompre la ligne du temps ou tout simplement à créer une variation qui force le cœur à battre autrement ». C’est aussi ce qui rattache le récit à celui de William S. Burroughs, écrivain phare de la Beat Generation ayant accidentellement assassiné sa femme, Joan Vollmer, le 6 septembre 1951 à Mexico. En parallèle à son histoire, Sylvie Nicolas fait le portrait des derniers instants de Joan et nous présente l’écrivain par fragments, nous faisant du coup deviner le sens des variations Burroughs.

La lecture de la récente œuvre de Sylvie Nicolas se fait lentement, pour bien en apprécier les images d’une beauté à la fois triste et ancrée dans le réel. Les épisodes qui la composent sont décrits avec une précision poétique qui les rend si faciles à imaginer que, après avoir lu la dernière page, certaines nous restent en tête. On retiendra surtout l’arrêt sur image que fait l’auteure sur la mort de Joan Vollmer, plan tragique que l’on dirait tout droit tiré d’un film de répertoire.

 Kim Chabot

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