L’essai percutant de Dalie Giroux, Parler en Amérique chez Mémoire d’encrier, explore la richesse du français américain en tant que langue subalterne.
Professeure de théorie politique à l’Université d’Ottawa, Giroux puise dans la théorie postcoloniale de Homi Bhabha pour situer la toponymie des langues et littératures au Québec. Pour elle, le post-colonialisme ne désigne pas ce qui s’organise après la décolonisation, mais bien une condition historique qui structure une société et ce, même après son jour d’indépendance. De là vient le concept de langue subalterne, c’est-à-dire une langue déclassée, colonisée et soumise à l’anonymat, recluse à la sphère privée. Au Québec, elle fait référence à celle des peuples autochtones, des porteurs d’eau, des ouvriers, des habitants, des métissés, des hybridés, des cultivateurs. L’auteure ne parle pas du français métropolitain de la République française, mais bien des français oraux en Amérique du Nord. À travers le livre, Giroux nous fait comprendre la spécificité et la diversité de ces langues dans une langue, plus précisément leur rapport unique au territoire et à la culture. En effet, suivant une approche anthropologique, les transformations des modes de vie sur le continent américain, par rapport aux manières de vivre en Europe, ont assurément influencé les façons de parler.
Reflet de l’histoire
Dans la première partie du livre, Giroux réfléchie sur les relations entre pouvoir, art et culture selon le point de vue des minoritaires. Plutôt que d’y voir une forme de décomposition ou d’infériorité par rapport au français normatif, le français américain possède des sédiments de significations et reflète l’histoire du continent. L’auteure cherche donc à faire ressortir les archives de vie, le rapport au territoire, les modes de vie de ces langues oubliées qui persistent malgré tout. Afin de réintroduire des manières décolonisatrices d’interpréter ces langues subalternes, Giroux propose quatre éléments d’analyse : l’exemple du michif, langue qui croise le cri de l’Ouest, le français oral du 18e siècle et l’ojibway des Grands Lacs, la littérature autochtone contemporaine qui indigénise les deux langues coloniales du Canada, le paradoxe atlantique de la traduction où la littérature autochtone est traduite en français de France pour revenir au Québec et finalement, l’émergence d’une littérature postcoloniale. Bref, elle dénonce la reproduction littéraire coloniale et l’impossibilité de traduire l’expérience américaine entre langues subalternes.
Critique sur la marde
Le meilleur de l’œuvre se trouve assurément à la toute fin dans sa Critique de la marde: essai de pensée politique anticoloniale. En reprenant les travaux de la romancière acadienne Antonine Maillet, Giroux suggère la persistance d’une référence merdique dans la culture populaire francophone en Amérique. Pour elle, l’usage de l’anathème merdique québécois, acte de condamner en référence à de la « marde », invoque le mouvement du Refus global en 1948. En réduisant la politique en un déchet, dire que quelque chose est de la « marde » marque un refus de participer, mais surtout un dégoût pour le projet de société proposé et pour tous ceux qui y participent. Bref, le brillant essai de Dalie Giroux, Parler en Amérique, trace l’esquisse d’un projet de société alternatif, celui de décoloniser les littératures et langues subalternes.