Photo : courtoisie Michael Slobodian

Critique: Mécaniques Nocturnes d’Anne Plamondon

Pour son 5ème spectacle de la saison 2017-2018, La Rotonde présentait la semaine dernière Mécaniques Nocturnes. C’est dans la grande Salle Multi du complexe Méduse qu’Anne Plamondon présentait un spectacle solo, mis en scène par Marie Brassard et en musique par le groupe montréalais Last Ex 

Composé d’une série de tableaux entrecoupés de projections, l’espace scénique est découpé par une longue barre en L, sur et autour de laquelle l’interprète s’agitera tout au long de la performance d’environ 60 minutes. S’ajoutent à la barre horizontale deux échafaudages rigides, supportant quelques tiges surmontées de lumières rouges. L’ensemble du décor rappelle un chantier de construction ou une zone industrielle. Anne Plamondon entame d’ailleurs le spectacle en déplaçant et en installant les sacs de sable qui tiennent la grande barre en place. Comme quoi la construction du décor n’est pas encore achevée et doit se terminer sur scène, devant public. 

Cet aspect inachevé du décor contraste avec la recherche artistique clairement aboutie qui a mené au spectacle, le second en solo pour l’artiste en tant que chorégraphe, après Les mêmes yeux que toi. La performance et la réalisation témoignent du fait que l’équipe possède la maturité et la sensibilité nécessaires pour traiter du sujet complexe et difficile qu’est la maladie mentale. Les mouvements de la danseuse sont nerveux, fermés, presque rigides par moments. Cette variété émotionnelle va de pair avec les multiples facettes du sujet traité. L’expérience d’Anne Plamondon, active depuis plus de vingt ans dans le milieu de la danse, notamment au sein des Grands Ballets Canadiens et du groupe RUBBERBANDance, est sans contredit l’une des forces de la prestation. 

Une ambiance sombre et inquiétante

Notons aussi la brillance de la mise en scène de Marie Brassard, accompagnée pour l’occasion d’Antonin Sorel à la scénarisation et de Yan Lee Chan aux éclairages. L’espace est chargé, presque clos malgré la grande étendue de la scène, mais parait ouvert et plus grand que nature quand l’artiste y danse. L’éclairage est franc et complexe, créant autant des jeux d’ombres que des focalisations. Il amplifie autant le mouvement que la musique, avec laquelle il est en constante interaction.  

La musique est d’ailleurs un autre des points forts du spectacle. Les musiciens de Last Ex enchaînent pour la première section des textures bruitistes très réussies, rappelant leurs contemporains tels que Ben Frost ou Tim Hecker. Les mouvements de la danseuse existent en réaction et en anticipation constante avec la tapisserie sonore. Anne Plamondon perce tantôt de mouvements nerveux la densité musicale,  et s’abandonne tantôt aux remous des marées de sons. Les bruits blancs et les drones laissent parfois place à des pièces plus conventionnelles, rappelant les compositions de leur album éponyme. L’ambiance musicale, même lorsqu’elle se rapproche de références collectives plus positives, reste toujours sombre et inquiétante. Rares sont, autant dans la musique que dans les mouvements, les moments de légèreté complète. Une sensation douce-amère lynchienne englobe la totalité de l’expérience sensorielle. Une pièce presque funky, sur laquelle l’interprète montre une fougue rafraîchissante, fait pourtant son apparition vers la fin du spectacle, mais la réalisation et les textures des instruments laissent présager le retour en force des bruits lourds et industriels qui clôtureront la soirée.  

Cette cohérence complète entre le mouvement, le son et l’utilisation de l’espace décuple le pouvoir émotionnel du spectacle. L’ensemble est sans faille et témoigne d’une maîtrise absolue autant de la danse que de l’art du spectacle et de la mise en scène.  

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