Critique théâtre : Froid à Premier acte

Tristement d’actualité, Froid interroge les rapports qu’entretient une communauté avec la xénophobie et le nationalisme identitaire. Présentée au théâtre Premier Acte, cette pièce met en scène la rencontre entre une extrême-droite prête pour la lutte et son adversaire : l’Autre. Pendant les quelques une heure trente de la représentation, le public n’aura droit à aucun repos.

C’est la fin de l’année scolaire en Suède pour Ismaël, Anders et Keith, qui lui, n’y allait déjà plus. Pour célébrer, les trois jeunes font le plein de bières et s’installent en forêt, histoire de s’enivrer. Leur discours, surtout celui de Keith, laisse comprendre que l’alcool fait déjà partie intégrante de leur mode de vie. Malgré tout, ils sont jeunes. Comme tous les autres, ils rêvent de refaire le monde, veulent se révolter contre ce qu’ils considèrent injuste et possèdent une bonne dose de naïveté. Arrive alors Karl, un autre élève, qui ne faisait que passer par là.

Karl est suédois, tout comme eux, ses parents aussi. Malheureusement pour lui, il est aussi d’origine coréenne et issu d’un milieu aisé. Cela ne fait pas l’affaire de Keith et ses compagnons. Pourquoi un étranger jouirait-il d’une meilleure situation alors que d’autres suédois et suédoises l’ont plus difficile? Les trois amis ne l’acceptent pas. Karl ne devrait pas profiter de ses privilèges, il devrait même quitter le pays. S’en suit une série de dialogues tantôt banals, puis acrimonieux, un choc de pensées entre des gens qui ne semblent pas s’écouter.

Une réalité plus près que jamais

Froid, d’abord présentée en Suède il y a près de quinze ans semble avoir été écrite hier tant son propos fait écho au brouhaha omniprésent des derniers mois qui ne semble pas près de s’essouffler. Cette pièce est sans aucun doute utile et cruellement nécessaire. Passer un bon moment comme spectateur est une tâche ardue. Froid dérange et ébranle. Ç’est d’ailleurs sa force. Elle déverse son flot bruyant et agressif de façon telle qu’il est impossible de le passer sous silence.

Cette production ne se veut pas moralisatrice ni porteuse de jugement. Les personnages, peu importe ce qu’ils pensent, sont tous placés au même niveau. Il s’agit plutôt pour ce spectacle de sonner l’alerte. L’alerte que la haine existe et qu’elle est plus près de soi que l’on peut le penser. Froid rappelle au public que fermer les yeux n’est plus possible, que croire que la violence raciale, tant dans les propos qu’en gestes, revient à nier une quasi-évidence.

Le texte valse habillement entre la banalité et la haine. D’une réplique à l’autre, le sujet se déplace du football aux nuisances qu’apporteraient les « étrangers » pour retourner à plus de small talk. Ainsi, le spectateur reçoit tout le mal que profèrent les comédiens cerné dans un aura de normalité. La haine, l’exclusion, le racisme deviennent d’une déconcertante banalité lorsqu’exprimés par les trois compatriotes ce qui rend le propos de la pièce encore plus frappant.

Il est toutefois possible de révéler une certaine caricature dans la façon dont sont présentés les trois suprémacistes. Les stéréotypes qui les animent les rendent quelques peu ridicules puisqu’ils semblent parfois grossièrement imaginés. En résulte que leur discours se décompose par lui-même à quelques moments au lieu d’être présenté de façon objective comme semble être la volonté derrière la création de cette pièce.

Il faut toutefois retenir de Froid qu’il s’agit d’une production résolument crue, mais surtout qu’il s’agit d’une pièce dont nous avons besoin collectivement. Si elle est imparfaite par moments, son caractère essentiel compense largement.

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