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Critiques musicales: Anatole, Safia Nolin et Alaclair Ensemble

Anatole – Testament

Anatole, mystère sensuel de la basse-ville, revient à la charge avec Testament. Suite thématique de L.A./Tu es des nôtres, l’album imagine la continuité (et la fin?) de la mission du messie de la nouvelle L.A.

Anatole est toujours plus grand que nature, mais s’éloigne des anges et montre un côté plus sombre et complexe de sa personnalité. Il laisse sa laideur s’exprimer, veut se faire taire, et habite davantage dans la contradiction que dans la grandeur.

Les envolées lyriques d’Exode donnent le ton à la production: riche en textures synthétiques, agrémentées de fréquentes touches d’Omnichord (une espèce d’autoharpe électronique japonaise) qui scintillent dans un spectre stéréophonique impressionnant.

Les références à Peter Gabriel qui caractérisaient le premier album d’Anatole restent actuelles. L’artiste de Québec fait définitivement dans la pop d’il y a 30 ans. Les caisses claires coupent les temps comme des coups de fouets, la basse se permet de remplir les vides avec des slaps bien placés et les guitares brillent dans des riffs funk qui font échos à quelques autres contemporains ‘faux-vintage’ comme Choses Sauvages ou Beat Sexü.

Quelques moments forts: Testament et ses claviers funkys, le solo de percussion de Pluton, Renaissance, avec ses harmonies de synthés, Charognard, qui canalise les vieux hits de Madonna à merveille, mais avec une tournure plus sombre, À sept pas du ciel avec ses harmonies synthétiques presque vaporwave. Bref, Testament est un album rempli à ras bord de moments de pur génie. Le tout est cohérent avec la proposition d’Anatole, encore plus enfoncé dans l’esthétique 80s, mais mieux réussi, plus finement ficelé que L.A..

Si on peut voir, au Québec, une certaine mouvance vers les sonorités analogues des années Thatcher, Anatole en est définitivement le roi, le prophète.

 

8/10

 

Safia Nolin – Dans le noir

Trois ans après Limoilou, Safia Nolin offre Dans le noir, son très attendu second album.

L’album s’ouvre sur La neige, empreinte d’un jeu presque électro-acoustique avec la distance. Les dynamiques s’envolent dans une surprenante expérimentation vocale. Déjà, on voit se tracer la trajectoire d’un album plus ambitieux. Les guitares sont souvent placées loin, sans être noyées dans le reverb. On sent dans l’enregistrement une distance, voire même un rejet de la familiarité. Rien ici n’est hostile, mais il y a souvent quelque chose, que ce soit le crépitement de 1998 ou les vagues de feedback de France, qui vient briser les attentes et, ne serait-ce qu’un peu, déstabiliser l’auditeur. Miroir en est un bon exemple, touchante, mais intangible, comme si on peinait à entendre les subtilités des guitares, éloignées, étouffées, jusqu’à l’explosion d’une série d’accords magnifique.

Dans le noir est un album plus sombre, qui garde la sensibilité habituelle de Nolin, mais qui l’enrichit d’une profondeur autant thématique que musicale qui dépasse tout ce qu’elle a fait auparavant.

La réalisation de l’album, souvent osée, ne manque que très rarement sa cible, et quand elle le fait, ce n’est pas de loin. Elle accompagne toujours à point la composition de Nolin, fait respirer les pièces, fait varier l’expérience sensible. La composition, sans un enrobage sonore aussi efficace, tirerait peut-être un peu trop souvent sur les mêmes cordes et les mêmes passages harmoniques, certes efficaces, mais qui auraient pu se renouveler davantage.

Les arrangements et les effets de Sans titre et Dagues, l’expérimentation sonore d’Encore, et France, presque bruitistes, les harmonies de Lesbian Break-up Song, tant de moments brillants dans un album déjà réussi.

Dans le noir est une écoute riche, touchante, qui prouve sans aucun doute que Safia a une longueur d’avance sur ses contemporain.e.s de la grande scène “folk” du Québec.

 

8/10

 

Alaclair Ensemble – Le sens des paroles

Le collectif hip hop de Québec/Montréal, Alaclair Ensemble, vient jouer dans les plates-bandes américaines avec Le sens des paroles. Un album assis sur une réalisation impeccable, la meilleure depuis l’époque PIOU PIOU du collectif. Les beats sont créatifs, explosifs, infusés des grands du trap, sans tomber dans la facilité des compositions “soundcloud rap”. Alaclair se compare favorablement à ses contemporains américains et produit un des meilleurs albums hip hop de l’année, toute langue confondue.

Il y a, sur l’album, trop de moments forts pour les énumérer, mais il faut souligner l’excellence de Souldia, qui brille sur FLX avec plusieurs lignes mémorables, dont une sur Dominic Maurais qui fait véritablement rire à voix haute. Les minces d’Alaclair n’ont rien à envier au vétéran, avec un flow plus solide que jamais, et ce, de la part de tous les membres. Les hooks sont mémorables et seront sans doute clamés par des fans en délire lors des concerts enflammés du groupe.

Le sens des paroles reste hilarant, intéressant, constamment renouvelé tout au long de ses quatorze pièces. Un long album, certes, mais qui passe vite et qui fait en demander plus.

 

8.5/10

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