WTFKev et Guylaine Gagnon, ou la curiosité malsaine

Les curieux.euses qui s’attendaient trouver en cet article une énième mise à jour concernant l’état de Guylaine seront déçu.e.s. À vrai dire, en ce lendemain de journée des droits de la femme, je me sers surtout du documentaire comme prétexte pour dénoncer le traitement médiatique réservé aux femmes et la manière dont le public se régale un peu trop de leur vie privée et de leurs traumatismes (en passant, ça a un nom, et ça s’appelle du trauma porn. Google donc ça). Pire, certain.e.s se figurent que l’accès à l’intimité de leurs vedettes préférées leur est DÛ, comme s’iels n’étaient que des bêtes de cirque, des pauvres fou.lle.s du roi dont l’existence ne serait destinée qu’à l’entertainment de la classe moyenne. « Non, mais iel est connu.e, ça vient avec, iel n’a pas le droit de se plaindre ». Boff. Imagine en 2022 encore penser AVOIR LE DROIT de tout savoir sur quelqu’un parce qu’iel apparait dans l’espace public. Gênant. Surtout, j’ai un arrière-goût amer et cheap de traitement médiatique et de culture des tabloïds des années 1990 et du début 2000. Rien de moins que du divertissement camouflé sous la bannière crasse du reportage bas de gamme et de la nostalgie toxique.

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), journaliste multimédia

Bon. Évidemment, j’aborderai le documentaire du youtubeur québécois WTFKev, sorti à la fin de ce mois de janvier. Je l’aborde, parce qu’il est problématique, tout comme l’est son réalisateur. Je vous laisse en juger au regard de commentaires récurrents sous la vidéo :

Malgré les centaines de commentaires positifs quant au documentaire – plusieurs se disent touché.e.s par Guylaine, comme quoi ça fait du bien de voir autre chose que le portrait précédemment dépeint dans les médias, en plus de mobiliser un certain niveau d’empathie à l’égard des enjeux liés à la dépendance et à la santé mentale – il n’en demeure pas moins que les motifs et les méthodes sont questionnables. Ce n’est pas parce que le harcèlement des paparazzis et de certain.e.s journalistes est pratique courante, voire normalisé, que c’est un argument pour se prêter au même jeu malsain. On dirait carrément les exemples de personnes qui, lorsqu’iels se font dire non, le voient comme un défi. Les agissements (allô le consentement…) du youtubeur sont inacceptables et témoignent d’un grave manque de respect et d’empathie à l’endroit de cette femme, et ce, même s’il prétend vouloir mettre au jour son côté humain, « l’envers de la médaille », ou qu’il affirme que le but du documentaire n’est pas de se moquer. On mentionne son apport quant à la déstigmatisation du travail du sexe ou on met en scène des capsules malhabiles sur la santé mentale, mais ses fondations sont pourries à l’os. En plus, il pousse l’audace en dénonçant à la toute fin le traitement médiatique subie par Guylaine à l’époque alors que les médias ne cherchaient qu’à générer des clics, mais ne fait-il pas la même chose avec ce prétendu documentaire (un vlog, disons-le)? Guylaine mérite mieux. #traumaporn #TyraBanks2.0

Je suis consciente que tous les documentaires ne sont pas à blâmer, et que certains d’entre-deux furent réalisés avec l’accord des personnes concernées, ou dans le but de montrer les événements d’une perspective historique. Même, on cherche parfois à faire un retour sur des moments marquants afin de dénoncer le traitement dont les personnes ont souffert à l’époque. Néanmoins, les intentions seules ou la démarche rigoureuse et bienveillante n’y sont pas toujours pour tout. Récemment, Hulu diffusait la minisérie Pam & Tommy, qui se veut un retour sur le scandale du sex-tape de Pamela Anderson et Tommy Lee dans les années 1990. Aux premiers abords, le public semblait plutôt excité de revenir sur cet événement, alors que Tommy Lee lui-même assurait que le public était en droit de savoir ce qui s’était passé. En rétrospective, on se pâme même devant le jeu des acteur.rice.s, sur les ressemblances, les moments humoristiques, les dialogues, etc. Pourtant, la principale concernée n’a ni été consultée, ni été impliquée. Mais encore, plusieurs commentaires provenant de l’entourage de celle que l’on considère comme étant une sex symbol mentionnent le fait que ce projet ne fait que lui imposer une revisite douloureuse de ce qui a été particulièrement traumatisant pour elle, et qui l’est encore à ce jour. Quand même ironique et pathétique de faire une série abordant notamment la notion de consentement, sans le consentement de la personne…

« The real Pamela Anderson did not want this story retold. While Stan has confirmed that he spoke with Lee, who has praised his portrayal, Anderson did not respond to producers’ overtures. She has not spoken publicly about the series, but sources have expressed her discontent and disappointment in multiple outlets. Anderson’s reticence looms over everything. In one standout scene from the fourth episode, time ceases to pass as Pam overhears Baywatch crew watching the tape and realizes that it’s her voice, that it’s her tape, that strangers are watching her private video. James’s performance of paralyzing dread is excellent, her slow-burn horror palpable, chilling. But, for me, it’s inseparable from the off-screen context. Are we not repeating that horror now? Pam & Tommy recreates parts of the tape, has actors mimic Anderson and Lee’s sex noises, includes montages of them having cartoonishly vigorous sex, uses prosthetics to imitate their famous anatomies. It’s deliberately uncomfortable to watch, and while there’s a lot going on here, much of it interesting and admirable, not all discomfort is productive. »[1]

Pamela Anderson a cependant annoncé la sortie sur Netflix d’un documentaire dont elle semble être le principal levier, lui permettant elle-même de prendre la parole et de se réapproprier son histoire. Ce genre de documentaire est particulièrement populaire ces derniers temps, tendance attribuable, selon moi, à la nostalgie fiévreuse pour cette période, mais aussi au désir grandissant de dénoncer le traitement médiatique des femmes. On réalise l’ampleur que prenait la misogynie et cette obsession pour l’intrusion à la vie privée au sein de l’espace public et du show buisiness. On se souviendra au Québec de la fameuse entrevue de Nelly Arcan à l’émission Tout le monde en parle, entrevue pour laquelle l’équipe ne s’est d’ailleurs jamais excusée. On se disait que ça faisait partie du métier.

Je suis également consciente que certaines célébrités choisissent elles-mêmes de divulguer des informations relatives à leur vie privée. Chose qui, il me semble évident, devrait être un choix. Le fait qu’une personne se confie sur sa vie ne signifie pas qu’elle souhaite qu’on exploite sans son consentement ce qu’iel a vécu. Comprenez-moi bien : les équipes de productions ne sont pas l’unique coupable. Oui, les spectateur.rice.s alimentent cette curiosité malsaine, la haine et le jugement hâtif. N’est-ce pas l’un des principaux attraits des magazines à potins et des téléréalités? Les spectateur.rice.s se nourrissent de leurs déboires, de leurs rides, de leurs seins qui pendent, de leurs poils, de leur double-menton, de leurs chirurgies ratées, de leur prise de poids, de leur perte de poids, de leur cellulite, de leurs cheveux gras lorsqu’iels font l’épicerie, de leur divorce de leur situation économique, de leur problème de consommation, de leur problème de santé mentale, de leur sexualité. Le public ADORE détester et mépriser. Pourquoi? Parce que c’est divertissant, des gens qui vont mal. « Non, mais moi je les suis et je les regarde ironiquement ». Non. Les gens aiment tout simplement ça se dire qu’iels sont mieux que celleux qu’iels voient dans l’espace public. Plus capable de l’entendre, celle-là. Puis, les laisser tranquilles relève du miracle, apparemment. C’est pourquoi je trouve pathétique et dégueulasse de voir passer des « documentaires » comme celui de WTFKev, qui, malgré tout ce qu’il peut dire, ne relève que du divertissement et de la méchanceté. PARCE QUE C’EST DRÔLE DES GENS QUI VONT MAL.

Et pour celleux qui seraient tenté.e.s de blâmer la « féministe frustrée pour qui la colère n’aide pas à sa cause », je me surprends à vous donner partiellement raison. Oui. Parce que je suis frustrée des personnes qui pensent qu’on leur doit tout, de ces personnes qui, sous le couvert de pseudopratiques journalistiques, se permettent d’harceler les artistes, d’exploiter ce qu’iels vivent, de constamment s’immiscer dans leur quotidien. Je suis frustrée, oh! j’en suis malade de celleux qui épient comme des pervers, de ces personnes qui vampirisent les vedettes et dont la soif n’a d’égale que leur égo mal placé, malade de ces privilégié.e.s en position de pouvoir qui s’amusent à passer les traumatismes de salons en salons pour générer des cotes d’écoute, de celleux pour qui l’intimité à un prix. Oui, je suis malade de ces spectatreur.rice.s encastré.e.s dans leur sectionnel qui se pensent meilleur.e.s, qui croient qu’iels sont du bon côté de l’écran, parce que de toute façon, il faut être « idiot.e, superficiel.le, de basse moralité », disent-iels le petit doigt levé. Frustrée de ces personnes qui se proclament faussement le droit de dire qu’iels l’ont cherché, qui pensent que leur expérience PERSONNELLE se pose en universel, de celleux qui osent hiérarchiser les traumatismes. Je suis tannée, tannée de toustes celleux qui protègent les méchants, de celleux qui dénoncent les dénonciations, OU PIRE, celleux qui ne veulent plus en entendre parler, tannée de celleux qui tolèrent, mais qui n’acceptent pas, de toustes celleux qui pensent qu’un.e artiste doit être un livre ouvert et tout accepter sous prétexte que ça fait partie du métier, news flash, c’est pas le cas ! Surtout, JE SUIS À BOUT DE CELLEUX QUI OUBLIENT QUE T’AS PEUT-ÊTRE PAS ENVIE DE REVIVRE UN TRAUMATISME ENCORE ET ENCORE ET QUI PENSENT QU’IELS ONT UN MOT À DIRE SUR COMMENT LES ARTISTES GÈRENT LA HAINE ET LA VIOLENCE ULTRE GRATUITE QU’ON LEUR ENVOIE SANS CESSE. Entendez-moi crier, la féministe frustrée. Iels méritent mieux.

[1] https://www.theguardian.com/tv-and-radio/2022/feb/15/pam-and-tommy-hulu-series-pamela-anderson-consent

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