Photo : PremierActe, CathLanglois Photographe

Embrigadés : radicalement bon

Embrigadés, portée par une distribution tout juste diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Québec, souffle un vent de fraîcheur sur l’auditoire de Premier Acte. Parmi les éléments clés du ravissement : la justesse du propos, un jeu infaillible de même qu’une intégration habile de la projection vidéo. 

Question épineuse s’il en est une : Embrigadés aborde le processus de radicalisation et les trajectoires multiples qu’il est susceptible d’emprunter. Car n’en déplaise au lecteur de nouvelles Pierre Bruneau, la radicalisation peut être à la remorque d’idéaux multiples. Il est ainsi question d’une jeune femme se questionnant à propos de son identité musulmane (Blanche Gionet-Lavigne), d’un étudiant frayant avec les mouvements d’extrême-gauche (Félix Delage-Laurin) et d’un autre racolé par le nationalisme identitaire (Vincent Massé-Gagné). Le texte ne reposant strictement que sur des monologues aurait eu le potentiel d’alourdir l’expérience du spectateur. Or, il n’en est rien. Les récits des personnages s’entrecroisent avec finesse, et l’intrigue mène inexorablement vers l’irréparable que commet l’un des personnages. 

Une telle efficacité de l’utilisation des monologues est sans doute tributaire de l’excellente performance de la part des trois acteurs(rices). Ceux-ci forment le collectif Les Pentures dont les projets alimentant la réflexion collective à propos de sujets d’actualité semblent être le créneau. La jeune compagnie de production théâtrale se décrit comme « un levier vers l’ailleurs, l’inconnu, le méconnu, le mal-aimé ».

Une sobriété efficace

Les plumes de Gionet-Lavigne, Delage-Laurin et Massé-Gagné sont de toute évidence bien assorties, le texte recelant des perles qu’on recueille précieusement au fil de la pièce : « Elle, a l’a des brillants sur les yeux mais moi j’en ai dans tête. C’est mieux me semble. (…) Y’a tu une place où ça vaudrait la peine que je brille? » de dire ainsi le personnage de Nadia (Gionet-Lavigne), livrée à un chagrin d’amour et se questionnant sur son rôle au sein de la société. La pédale douce est mise sur les vérités pompeuses, au bénéfice d’un traitement sensible et réaliste. Quelques flèches de répliques, bien affutées, sont décochées, atteignant la sensibilité du spectateur avec une précision déconcertante.   

En ce qui a trait à la mise en scène signée Pascale Renaud-Hébert, la projection vidéo farde avec doigté un décor somme toute sobre, se résumant à un plan incliné. La gravité, attirant irrésistiblement les comédiens-nes vers le bas, constitue une illustration habile de ce magnétisme qu’exercent certaines idées auprès de la jeunesse – une jeunesse plantée dans un contexte délétère, incapable de se projeter dans un futur qui les satisfasse. 

Si la psychologie des personnages est fouillée, d’aucuns reprocheront cependant aux auteurs de verser dans l’individualisation du phénomène de radicalisation, au détriment d’une prise en considération de l’environnement social dans lequel il s’inscrit. La transfiguration que connaissent les personnages aurait pu être davantage étudiée sous l’angle de la contribution du contexte – les conditions matérielles de vie, les valeurs de société, les mesures gouvernementales –, quoique certaines allusions y soient faites. 

Une approche documentaire

Plusieurs projets menés récemment se sont réclamés d’une approche documentaire, comme ce fut le cas avec J’aime Hydro de Christine Beaulieu, Fredy d’Annabel Soutar et, plus récemment, Hôtel-Dieu d’Alexandre Fecteau. Or, la désignation pourrait également seoir au travail du collectif Les Pentures. Leur processus de création a reposé, entre autres, sur des rencontres avec des experts des enjeux rattachés à la radicalisation. L’ambition de Gionet-Lavigne, Delage-Laurin et Massé-Gagné de mettre le théâtre au profit d’un portrait nuancé de même que d’une analyse des enjeux d’actualité est louable. Elle réitère la fonction sociale du théâtre de même que sa contribution précieuse à la réflexion collective. 

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