Émile Proulx-Cloutier au Grand Théâtre : le feu sacré

C’est devant une salle Octave-Crémazie pleine d’une foule bigarrée, où se côtoyaient des mélomanes de tous les âges, qu’Émile Proulx-Cloutier s’est produit le 8 avril dernier. Intense, énergique et électrisant, l’auteur-compositeur-interprète a livré un spectacle dont on se souviendra longtemps.

L’homme a du talent, et en quantité : on le savait déjà acteur d’exception, magnétique sur les planches comme à l’écran. Depuis  2011, on le découvre aussi chanteur, auteur et musicien. Son premier album, Aimer les monstres, a été lancé cet automne, et l’artiste, réutilisant le canevas finement poli de ses Chansons cachées, l’offre désormais en formule spectacle partout au Québec.

Et quel spectacle! L’album était déjà percutant ; le concert est tout simplement héroïque. Les textes irrésistibles et puissamment évocateurs du chanteur prennent tout leur sens lorsqu’il les livre sur scène. Vif, nerveux et survolté, Émile Proulx-Cloutier est doué d’une parole rare, forgée d’amour et de révolte, profondément vivante et vibrante. Dès les premières minutes, cela se sent, et le spectateur attentif réalise sa chance : devant lui se dresse un artiste véritable, porteur d’un message à la fois sensible et réfléchi, transmis avec passion et franchise. Il n’y a là rien de bassement politique, et même les envolées post-électorales finement ciselées du jeune trentenaire se font inspirantes : l’art d’Émile Proulx-Cloutier est d’abord et avant tout fait de mots chéris et inspirés, relais essentiels d’un regard qui semble voir mille choses et d’un esprit soucieux de les traduire, de les rendre vivantes et belles.

Car Émile Proulx-Cloutier incarne formidablement ses textes : sur scène, l’acteur n’est jamais bien loin. Quand il ne chante pas, il déclame, il raconte, il met en scène, pose un décor, un personnage : le flot de paroles ne s’interrompt que lorsque la musique prend son envol, tantôt douce, tantôt emportée, toujours relancée. Le paysage musical de l’artiste saisit par son éclectisme : aux calmes berceuses (Mayday, qui arrache des larmes)  succèdent les complaintes déferlantes (La complainte du premier de classe, irrésistible), le rap dénonciateur (Race de Monde, plus pertinente que jamais) côtoie la chanson française de facture plus classique, mais toujours surprenante (Les Mains d’Auguste, magnifique). Mais, toujours, les mélodies captivent, et les textes brillent, livrés avec feu, émotion et conviction. Maman, la relecture de la Mommy de Pauline Julien, sur la perte d’une langue et l’inexorable effacement d’une culture, constitue sans doute l’une des plus belles offrandes de la soirée, transposée avec sensibilité chez les Algonquins de l’Abitibi. Au piano, Émile Proulx-Cloutier épate, alors que ses complices (Mathieu Désy à la contrebasse, Pascal Racine-Venne à la batterie et Benoît Rocheleau aux cuivres et aux arrangements ponctuels) livrent leur partition avec une fougue et un plaisir évidents. En quelque deux heures trente de spectacle, seize chansons et de multiples prises de parole aussi drôles que pertinentes, Émile Proulx-Cloutier a confirmé ce qu’on devinait déjà : au-delà du talent, l’homme est habité par un véritable feu sacré. Puisse-t-il nous éblouir encore longtemps!

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