Ensemble Lunatik : Variations sur la musique nouvelle

Un samedi soir à l’église, et alors ? L’Ensemble Lunatik présentait son concert Qu’est-ce donc que le temps ? le 22 novembre dernier. Pour prendre la pleine mesure de la musique nouvelle et constater le talent d’anciens de la Faculté de musique de l’Université Laval, il fallait donc se rendre à l’église Saint Michael, dans Sillery.

En cette nuit enneigée, on entre dans l’église comme un voyageur entre dans une auberge un soir de tempête pour se réchauffer. L’ambiance est intime, feutrée. Puis, le silence se fait pour laisser place aux quatre musiciens, aux Sabliers de la mémoire de Serge Arcuri et au Quatuor pour la fin du Temps d’Olivier Messiaen.

Le temps d’un concert

Dès les premières notes, la pièce d’Arcuri enveloppe le lieu de culte d’une atmosphère presqu’angoissante. Les enchevêtrements des aigus du piano et des cordes font des Sabliers de la mémoire un morceau à la beauté troublante qui rappelle, de temps à autres, les vieux films de suspense en noir et blanc. La composition nous donne l’impression de se retrouver dans la Twilight Zone tant l’œuvre est cinématographique. Pendant la vingtaine de minutes que dure ce prélude, le chaos et l’unicité des voix se succèdent, ne laissant pas aux spectateurs le loisir de s’ankyloser. Si par moments, les cordes et la clarinette s’entêtent à se démarquer, elles finissent par unir leur voix au piano pour créer une mélodie riche aux nuances subtiles.

Toute en contraste, Les Sabliers de la mémoire laisse la place au Quatuor pour la fin du Temps, œuvre d’importance d’Olivier Messiaen. Comme la précédente, la pièce est imprévisible. Les accents langoureux du piano et des cordes succèdent à des envolées saccadées. Une pièce de cette complexité aurait pu perdre les néophytes. Néanmoins, l’exécution en est maîtrisée. La synchronie des musiciens rend l’œuvre de Messiaen des plus puissantes et ses silences, plus percutants.

Atmosphère intime

En choisissant de présenter leur concert dans une église aux allures de chapelle, l’Ensemble Lunatik mise sur l’intime et le recueillement. De l’avis de la pianiste Fabienne Gosselin, c’était l’écrin parfait pour mettre la complexité des œuvres en valeur : « On voulait toucher le côté mystique de Messiaen parce qu’il était profondément croyant dans son écriture, dans le thème de la pièce. » Largement inspirée de l’Apocalypse de Saint Jean, le morceau est l’une des œuvres phare du compositeur français. L’histoire du Quatuor en elle-même étonne : composée au début de la Seconde Guerre mondiale, elle est présentée pour la première fois dans le camp de travail où il est fait prisonnier.

Une initiative étudiante

Le jeune ensemble, dont l’initiative revient à Patrick Giguère, est né d’un projet étudiant en 2009. Alors étudiant à la Faculté de musique de l’Université Laval, le directeur artistique de l’ensemble veut monter une de ses compositions. « On a créé cet ensemble-là pour une session. Finalement, on a vraiment aimé travailler ensemble, se rappelle le clarinettiste Samuel Desgagnés Rousseau. Avec les membres fondateurs, on a continué un peu. On est allés chercher des œuvres qui marchaient avec notre type d’ensemble », continue le détenteur d’une maîtrise en didactique instrumentale de l’Université.

Le choix du nom s’est ensuite imposé : « Les œuvres se rattachaient beaucoup autour de la Lune, continue Marie-Loup Cottinet. De plus, notre ensemble est de type Pierrot Lunaire, c’est-à-dire qu’il est composé de tous les instruments qui sont nécessaires pour créer le Pierrot Lunaire de Schoenberg, soit une clarinette, une flûte, un violon, un violoncelle, un piano, une voix. Et puis, on se trouvait aussi pas mal dans la lune en général ! », se rappelle-t-elle en riant.

Un genre méconnu

L’ensemble s’est donné pour mission de faire connaître la musique nouvelle, genre que Fabienne Gosselin estime « méconnue du grand public, voire appréhendée » et « qui n’est pas très présentée à Québec. » Sa collègue violoncelliste renchérit sur la pertinence de ce projet musical : « On veut jouer des œuvres majeures du XXe siècle pour faire le pont entre la musique nouvelle » et le grand public.

La musique nouvelle, aussi dite contemporaine, n’occupe pas non plus une grande place au sein de la Faculté de musique, assure Samuel Desgagné Rousseau. « De ce que j’ai pu voir quand j’étais là, les étudiants qui sont très forts font un peu de musique contemporaine à la fin de leur formation, mais ça ne fait pas partie du programme. » Exception faite de la classe d’Éric Morin, « très active pour la création d’œuvres », précise Marie-Loup Cottinet.

La musique nouvelle, un genre hermétique ? Pas autant qu’on pourrait le croire. Comme pour toute forme d’art, « ça vaut la peine d’essayer, c’est comme aller voir une exposition d’art moderne », fait remarquer la violoncelliste. Après tout, « c’est la musique de notre temps », conclue-t-elle.

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