Entrevue avec Dany Laferrière : la rencontre des tropiques et de la glace

Prenons cette situation fictive : un jeune camerounais débarque à Montréal et cherche à s’intégrer et vous devez lui décrire la spécificité québécoise. Comment vous y prenez-vous?

C’est l’idée du dernier livre de Dany Laferrière, Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, un dialogue entre le Laferrière d’aujourd’hui et son alter ego d’il y a quarante ans. Mongo est un jeune homme du « sud » qui arrive à Montréal. En trois cents pages, l’Immortel lui explique ce qu’il en est de ces Latins du nord, les Québécois.

Sous la plume de Laferrière, le lecteur découvre une étude profonde, songée et vivante du Québec où ce qui semble aller de soi, les lieux communs de la culture populaire, révèlent leur paradoxale étrangeté. Ainsi, curieusement, à travers la lecture de Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, on est en droit de se demander qui découvre le plus le Québec entre Mongo et le lecteur.

Chronique d’un « en-dessous »

Car la connaissance d’un pays ne va pas de soi, ce n’est pas un fait brut, donné à tous. « Il ne s’agit pas d’être né dans un pays pour le connaître, il faut l’étudier », explique l’écrivain, et on doit admettre qu’il a fait ses classes. Miron, Duplessis, Vigneault, Lévesque, Durham : les grands noms défilent les uns après les autres pour conter l’hiver, le français, la colonisation.

Ce n’est pas un cours magistral nationaliste, tout au contraire, « ça paraît comme une sorte de mitraille! ». Entre deux vers de Nelligan, Laferrière raconte les bars et la danse, la poutine et le hockey, la drague et l’amour. Il revendique ce côté éclaté, « ce côté pot-pourri, ce côté buffet chinois, parce que moi je suis une toile, je suis une araignée parce que je crois que tout est relié par en-dessous ».

Cet « en-dessous », on le sent vibrer, c’est quelque chose comme l’âme du Québec et son évolution hasardeuse à travers la poudreuse et les référendums. Laferrière ne se gêne d’ailleurs pas pour réinterpréter des moments cruciaux de l’histoire québécoise. Il revendique « un regard libre, presque de romancier, sur les événements ». « J’ai mis les choses ensemble et j’ai analysé, j’me suis dit : essayons la logique », se rappelle l’auteur d’origine haïtienne.

La révolution du ventre

Eh bien, la logique ébranle les colonnes du temple! Pour l’auteur consacré, « la plus grande révolution qui a été faite au Québec, c’est l’avortement, la contraception, la pilule, les femmes qui ferment les trompes, c’est la révolution du ventre ». Voilà pour la Révolution tranquille! « Moi, j’avais eu un petit doute quand je suis arrivé et qu’on m’a dit qu’on a mis l’Église à la porte (rires). Je connais l’Église hein? Elle passe par la fenêtre », lance-t-il en entrevue. Et cette fois, c’est la fameuse laïcité qui en prend pour son rhume.

Ouvrir le dialogue

Plus que tout, Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo est une œuvre profondément vivante. En la dévorant on s’y reconnaît partout, tantôt en riant, d’autres fois de façon plus introspective, en pensant à ce que représente véritablement pour nous le français et l’identité.

À l’heure actuelle, alors que la question de l’immigration gagne toujours plus d’importance, que les positions se campent, que les théoriciens confrontent des modèles toujours plus élaborés, peut-être faudrait-il ouvrir un peu le dialogue, revenir au ras des pâquerettes pour écouter ce qu’en dit un vieil immigrant arrivé il y a de cela quarante ans. Un vieil immigrant, qui plus est, devenu le premier Québécois intronisé à l’Académie française et que tout un chacun reconnaît avec fierté comme un fils légitime du Québec. Parce qu’au fond, écrit-il dans son livre, « un pays c’est un roman écrit par ceux qui l’habitent ». À lire absolument.

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