Entrevue avec Dominique Fortier : Écrire, un jour à la fois

Pendant 366 jours, Dominique Fortier et Nicolas Dickner ont écrit chacun 366 textes sur autant de sujets différents, inspirés par les totems du calendrier révolutionnaire français. Entrevue avec Dominique Fortier, initiatrice du projet, sur ce fascinant exercice d’écriture, qui a donné naissance à un magnifique ouvrage, Révolutions, paru le 16 septembre dernier aux éditions Alto.

Révolutions, c’est d’abord un jeu d’écrivains. L’auteure ne s’en cache pas, elle qui parle du « défi intéressant » posé par cette « façon d’observer le passage du temps à travers une succession d’images fixes et apparemment détachées les unes des autres, mais dont l’enchaînement finirait par former un récit. La contrainte imposée par les thèmes du calendrier révolutionnaire est elle-même féconde sur le plan de l’écriture, ou de la création : d’abord elle nous obligeait, Nicolas et moi, à écrire rigoureusement tous les jours, que nous soyons inspirés ou non, et puis elle avait pour effet de nous amener à sortir des zones que nous visitons habituellement dans nos romans ».

C’est donc à un véritable exercice de style que s’est livrée Dominique Fortier, soutenue et accompagnée par la plume de son complice écrivain Nicolas Dickner, « un esprit infiniment curieux, que tout intéresse, et qui aime par-dessus tout chercher, découvrir, apprendre », selon les bons mots de sa coauteure.  À cela, il faut ajouter « une bonne dose d’humour et d’imagination », qui traverse tout le livre, épouse tous les sujets. Bref, il s’agissait du compagnon tout désigné pour cette entreprise où l’on retrouve « du vrai, du faux, du sérieux, du comique, de l’inventé, du passé et du possible ».

Écrit à quatre mains, Révolutions permet au lecteur d’accéder « à deux processus de création distincts ». L’expérience est captivante. « Nicolas propose dans un de ses textes une image qui rend bellement compte du projet, lorsqu’il explique que nous sommes semblables à deux personnes qui, depuis deux lieux différents, observeraient un même nuage en tentant d’y déceler des formes », illustre Dominique Fortier.

Les « broderies impressionnistes » de l’une côtoient ainsi les joyeux délires érudits de l’autre, sans que l’ensemble détonne. C’est même tout le contraire : le plaisir de la lecture repose justement sur ce dialogue improvisé et quotidien qui unit ou qui oppose les plumes des deux compères, et qui dévoile leurs regards d’écrivains. « Cette fenêtre est plutôt unique : si beaucoup d’essais ont été écrits sur le processus de création, il est assez rare qu’on ait ainsi accès “directement”, sans filtre, au laboratoire ou à l’atelier de celui qui écrit », poursuit l’héritière littéraire de Fabre d’Églantine et André Thouin.

Les totems des deux pères du calendrier révolutionnaire, souvent « contournés » ou « détournés », ne faisaient que servir de prétexte à l’écriture. Dominique Fortier le résume joliment en fin d’entrevue : « Certes, nous écrivions autour des thèmes imposés, mais au fond nous n’écrivions pas vraiment sur la carotte, l’oignon ou la morille : nous écrivions, tout simplement, sans savoir où nous allions mais en acceptant de faire chaque jour quelques pas de plus ». Et le lecteur trouvera un immense plaisir à fouler le chemin ainsi tracé.

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