Anne-Marie Beaudoin-Bégin: De l’importance de « laisser du lousse »

Linguiste chargée de cours à l’Université Laval, Anne-Marie Beaudoin-Bégin a lancé, le 6 avril dernier, son essai La langue affranchie aux éditions Somme toute. Propulsée par son premier livre La langue rapaillée et sa page L’insolente linguiste, cette Hubert Reeves de la sociolinguistique n’a pas peur de débusquer les grands mythes autour de la langue française.

C’est une citation de Ferdinand Brunot – historien de la langue du XXe siècle – qui a tout lancé : « Faute de se souvenir de l’histoire, non seulement on explique mal, mais on ne peut guère déterminer l’état exact d’une langue ». En exergue du deuxième chapitre, cette phrase qui date de 1909 se révèle la pierre angulaire de la thèse de l’auteure.

Anne-Marie Beaudoin-Bégin explique d’ailleurs le développement de sa pensée à l’aide de l’extrait en question, qui lui a sauté aux yeux. « Si on n’analyse pas les phénomènes qui ont eu lieu en les comparant avec les phénomènes d’aujourd’hui, on peut penser que la langue est actuellement à son état optimal. C’est pour ça que je m’intéresse à son histoire, je veux être capable d’expliquer les phénomènes actuels en parallèle avec les phénomènes historiques. »

Aérer la langueLa langue affranchie

Or, plus qu’un simple exercice de vulgarisation de concepts tels que la lingua franca et la créolisation, La langue affranchie se veut un plaidoyer sur un constat que L’insolente linguiste n’en finit plus d’observer : les jeunes – à qui s’adresse en particulier l’essai – se reconnaissent de moins en moins dans la langue française. Et, selon elle, il est urgent que cela change.

« Ce qui met le français en danger, ce n’est pas l’anglais, mais le purisme. Comment peut-on être fier d’une langue qu’on s’est fait reprocher de mal parler et écrire toute notre vie? On aurait besoin de liberté, d’ouvrir les vannes, de laisser entrer l’air dans la langue, car elle appartient aux locuteurs et locutrices avant tout. »

Cela dit, elle se garde d’appeler à un laxisme ou un relativisme à outrance, qu’elle se fait souvent reprocher à tort. Sa position, en fait, n’est rien de plus (et de moins) que ce qui ressort de la linguistique, cette science humaine qui prend la langue comme objet d’études.

De son expérience, les seuls qui s’opposent à son argumentaire sont ceux qui voient leur pouvoir et influence menacés par la déconstruction qu’elle réalise de l’image d’une langue parfaite et normée dans toutes les sphères de la vie.

Normes implicite et explicite

« Quand la norme explicite ne correspond pas à la norme implicite, les gens ont l’impression que leur langue est différente de celle enseignée dans les écoles. On ne se reconnait donc plus dans le français », soulève la linguiste.

Loin de minimiser la précarité de la langue de Miron, elle met en garde contre les dangers de la sur-correction. Car, à trop vouloir respecter les règles, on risque de signer la mort du français au Québec : « Les corrections deviennent du bruit ambiant : faut pas trop manger de gras, faut pas trop boire d’alcool, faut faire un peu d’exercices, faut pas faire de fautes! Ce ne sont pas les règles, mais l’attitude vis-à-vis d’elles qui prime! »

Avec La langue affranchie, Anne-Marie Beaudoin-Bégin souhaite donc mettre l’accent sur l’importance d’être fier de notre parler. Le sous-titre « se raccommoder avec l’évolution linguistique » prend ainsi tout son sens. Car « notre langue n’est pas mauvaise, elle est juste différente de ce qui est écrit dans les canons grammaticaux! »

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