Courtoisie : Cyril Schreiber

Festival de la chanson de Tadoussac, jour 3 : contact avec la nature, contact avec la ville

Samedi, déjà la deuxième moitié du 30ième Festival de la chanson de Tadoussac, qui commençait tout juste après que les spectacles de vendredi soir aient pris fin.

Cyril Schreiber

En effet, une fois les spectacles dans la nuit terminés, le public était invité, au petit matin, à se diriger vers les dunes de Tadoussac pour aller voir et entendre, vers 4 heures du matin, le groupe Caïman Fu. La programmation a beau être chargée, le festivalier souvent confronté à des choix cornéliens, il n’était pas question de rater cet événement unique, que ce soit après une sieste réparatrice ou tout de suite après Bernard Adamus & Canailles ou Propofol, les derniers spectacles inscrit à l’horaire du vendredi.

Dans ce contexte particulier, le groupe s’en est relativement bien tiré malgré quelques problèmes techniques et certains festivaliers plus ou moins en état d’écouter un spectacle. Isabelle Blais et ses musiciens ont livré une performance d’une petite quarantaine de minutes, ce qui fut bien suffisant compte tenu des conditions de relatif froid. Pas leur meilleure spectacle, évidemment, mais une expérience qu’il fallait vivre et que le festival devra répéter, sous cette forme ou une autre, car la musique vibrait d’une manière unique en ce petit matin.

Le contact avec la nature, un axe que le Festival voulait plus exploiter cette année, se poursuivait samedi midi avec un autre spectacle-événement intitulé Le Tour de l’Islet. Le spectateur était ainsi invité à se diriger à ce parc en bout de village afin d’entendre trois artistes en pleine nature, dans un lieu hautement magnifique entre le fjord du Saguenay et le fleuve St-Laurent.

Ainsi, Paule-André Cassidy, Keith Kouna et Mary Beth de scène ont accepté le pari de jouer en pleine nature leur répertoire en plus de reprendre Félix Leclerc, tantôt dans les bois, tantôt sur le bord de mer, toujours a cappella et soumis aux bruits aux alentours : bateaux, avions et spectateurs bruyants. L’événement se déroulait en trois étapes (midi, midi trente et 13h) durant lesquelles les chanteurs performaient à tour de rôle. Or, si la formule est reprise l’an prochain, ce qu’on souhaite, il faudra éventuellement faire jouer tout le monde en même temps en continu, car l’événement a été très couru et non seulement les spectateurs ont manqué de place sur le chemin, mais ils ont surtout manqué la dernière du parcours, Mary Beth de scène, qui a commencé sa performance trop tôt. Avec quelques ajustements, Le Tour de l’Islet devrait connaître un bien meilleur sort l’année prochaine s’il est renouvelé. Ça vaudrait amplement le coupé

À 15h, une artiste qui aurait mérité un spectacle à heure de plus grande influence se produisait au festival, à savoir Marie-Pierre Arthur. Cette représentation de son spectacle Aux alentours était d’autant plus surprenante et inhabituelle qu’elle se déroulait sur la scène Sirius XM, dans le sous-sol de l’église, lieu d’habitude réservé aux spectacles tard le soir, ou tôt le matin, c’est selon. Le public était-il au rendez-vous ? Étonnamment oui, un public plutôt familial en plus. Malgré tout, on se serait cru tard dans la nuit, tant Marie-Pierre Arthur et ses musiciens (François Lafontaine, José Major, Guillaume Doiron et Nicolas Basque de Plants & Animals en remplacement de Joe Grass) ont tout donné comme lors d’un spectacle normal. Ça sonnait fort, lourd, puissant, précis. Ce spectacle découlant de son deuxième album mélangeait titres plus récents, mais aussi chansons du premier album éponyme et une reprise de John Lennon, Jealous guy, sur laquelle les gars musiciens ont pu donner de la voix. Autrement, ils n’hésitaient pas à jouer à merveille la musique pop-rock planante de Marie-Pierre Arthur, y allant de quelques solos bien sentis ou de ponts musicaux sur les pièces bien souvent rallongées pour l’occasion. Marie-Pierre Arthur avait donné son premier spectacle solo ici même à Tadoussac – ce passage dans la cuvée 2013 sera assurément un aussi bon souvenir.

Le deuxième spectacle collectif de ce trentième festival était le très attendu Open country des Moutain Daisies : Carl Prévost et Ariane Ouellet, depuis quelques années, invite au Verre Bouteille à Montréal des artistes et reprennent leurs chansons, ou leurs coups de cœur, en version country. Après la parution d’un album il y a quelques semaines, voici que le concept s’exporte en tournée, et notamment à Tadoussac. Après ce spectacle, le country sera sans nul doute aimé par tous, et enfin débarrassé de cette mauvaise image un peu kitsch. Entourés d’un solide house band comprenant Antoine Gratton, Vincent Carré, Mark Hébert et Audrey-Michèle Simard, Prévost et Ouellet ont ainsi accueilli, dans cette belle église de Tadoussac à la sonorisation malheureusement toujours un peu déficiente, quelques grands noms de la chanson francophone et québécoise pour une trempette country de leurs créations ou de leurs pièces favorites. S’il n’était pas surprenant d’y voir des gens comme Lisa LeBlanc ou Stephen Faulkner, d’autres ont créé une vraie surprise avec ce type de relecture musicale, que ce soit Mario Pelchat (Pleurs dans la pluie en country, ça passe mieux), Amylie (Les filles), Louis-Jean Cormier ou Daran, qui a rendu hommage à Alain Bashung en reprenant Osez Joséphine. Ajoutons les vétérans Michel Faubert et Pierre Flynn et le résultat est sans équivoque : sympathique comme tout, bon enfant, pas parfait mais diablement efficace. Vive le country fait par les Moutain Daisies !

Toujours dans la même église se produisait par la suite le génial Damien Robitaille, le franco-ontarien préféré des Québécois, qui ne cesse de se réinventer au fil de ses albums. Le dernier en date, Omniprésent, faisait place au séducteur latino… qui ne réussit cependant pas à cacher la maladresse sympathique du vrai Damien, qui autrement reste un éternel séducteur… faisant preuve d’autodérision. Devant un public survolté n’hésitant pas à chanter et danser, Robitaille a ainsi pigé dans son déjà vaste répertoire, en réarrangeant à la sauce espagnole ses plus anciens morceaux, comme Mètres de mon être. Il était accompagné de ses quatre musiciens, mais malheureusement pas de la section de cuivres, qui ajoutait une certaine texture à la musique. Fort heureusement, le plaisir n’a en rien été entamé dans ce spectacle d’un homme qui donne du bonheur. Sa musique est simple, efficace, ce qui ne signifie pas forcément absence de contenu, bien au contraire dans le cas présent. Damien Robitaille, qui fête cette année ses 10 ans de carrière et de vie au Québec, avait joué il y a deux ans dans le sous-sol de cette même église. Cette année, c’est la grande salle. Comme il le dit lui-même, sa carrière ne cesse de monter depuis quelques années. Il en a encore de belles devant lui s’il continue à offrir une musique d’aussi bonne qualité.

Bien qu’il y ait encore quelques autres spectacles après, quoi de mieux pour finir cette journée qu’un détour par la salle Marie-Clarisse de l’hôtel Tadoussac pour entendre, à 23h30, le français Daran, installé à Montréal depuis quelque temps ? Toujours entouré des excellents André Papanicolaou (aux solos de guitare toujours impressionnants) et Marc Chartrain à la batterie, et rejoint par Louis Lalancette à la basse, Daran a tout donné dans ce spectacle intime très couru mais loin d’être acoustique : du rock français sans concession aux textes engagés ou poétiques (majoritairement signés Pierre-Yves Lebert) et aux musiques accrocheuses. Daran, c’est bien plus que le succès Dormir dehors, c’est un parcours artistique authentique, une véritable passion à faire de la musique intelligemment et avec le cœur, bref une valeur sûre. Ce premier passage à Tadoussac en tant que chanteur (malgré ses nombreuses années de tournée), tard samedi soir dans le sous-sol du bel hôtel, l’a encore une fois prouvé.

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