Critique de Bordel-Station, le plus récent ouvrage de Guy Genest, un ancien étudiant de l’Université Laval.

Il suffirait (peut-être) de presque rien

Il n’y a rien de bordélique dans Bordel-Station. Au contraire. Dans ce roman de Guy Genest, publié chez XYZ, chaque élément occupe la place qui, d’avance et par principe, lui semble logiquement désignée. Ce qui amène le lecteur à poser bien vite un constat malheureux: il n’y a rien d’excitant dans Bordel-Station.

Il y a bien le récit d’initiation de ce jeune bourgeois qui, à l’été 1955, débarque au beau milieu de la forêt québécoise, dans cette clairière près d’un chantier de coupe où se dressent un magasin général et un «hôtel» géré par une Madame et habité par quelques séduisantes jeunes filles. Il y a bien Émeri, cet homme des bois un peu bourru mais tout à fait sympathique qui apprendra au personnage principal à profiter de la vie. Il y a bien la bandante Lili et la mystérieuse Carole, qui bouleverseront le cœur et les hormones de notre jeune Montréalais, et il y a bien une ou deux intrigues, un ou deux noeuds à dénouer ici et là dans le roman. Mais pas de surprise, pas d’anticipation, pas de montée ou de chute dramatique.

Et il ne s’agirait peut-être pas d’un problème si, en contrepartie, il y avait un jeu formel inusité, un renouvellement poussé du langage ou un minutieux portrait social du Québec des années 1950. Mais ça non plus, il n’y a pas. Le lecteur se voit donc contraint de suivre le jeune narrateur dans ses nombreux allers-retours entre la forêt et l’hôtel, entre Lili et Carole, entre bonheurs et drames (passagers, car il s’agit vraiment d’un roman gentil). Et ainsi passe le récit de cet été paisible: tranquillement, poliment, comme un train lancé à vitesse réduite sur une plaine.

Certes, l’écriture, comme l’annonce la quatrième de couverture, est «limpide et fluide», et il faut concéder à l’auteur un solide talent pour les dialogues, qui constituent probablement les trois quarts du texte, et qui rendent les personnages chaleureux. Certes, la quête de cet étudiant qui découvre la liberté et la sexualité insuffle au récit une certaine fraîcheur, une douce naïveté. Mais tout ça ne fait pas de Bordel-Station un roman mémorable; et pourtant, il ne suffirait peut-être que d’un ton plus personnel, d’une vision du monde plus particulière, pour que le narrateur réussisse à attiser l’intérêt du lecteur tout au long du roman. J’ai bien dit peut-être.

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