Photo : ULaval

L’incessante dérive des images

La Galerie des arts visuels de l’Université Laval présentait, jeudi dernier, l’avant-dernière conférence inscrite dans le programme abordant la relation entre l’art et l’écrit. À l’occasion, l’artiste et anthropologue Richard Baillargeon offrait, par le biais de la présentation de son propre travail comme celui d’autres artistes, un constat de cette rencontre entre l’image et le mot – improbable, mais infiniment intrigante.

Richard Baillargeon introduit sa présentation en soulignant le titre qu’il lui a donné : Ces chiens de faïence – Images et mots dans leur étrange fascination. Par définition, un chien de faïence fait se rencontrer deux entités qui se regardent fixement, sans toutefois nécessairement arriver à bien communiquer. L’expression correspond ainsi parfaitement à la rencontre de l’image et du texte tel que l’artiste la voit : semée de difficultés, dans une précarité avec laquelle le créateur doit inévitablement travailler.

Le difficile et hasardeux devoir de nommer

Baillargeon poursuit en se donnant le devoir de tenter de nommer, de classifier son travail. Majoritairement et depuis longtemps photographique, son ouvrage se veut une sorte de confrontation de l’image et du réel, une tentative de saisir des bribes du vrai dans lequel nous évoluons.

L’artiste se passionne d’autant plus de l’idée d’appropriation de l’image; le déjà existant l’intéresse, mais surtout dans une perspective de transformation de la matière.

Entre évidemment en jeu la question de l’écrit, source inépuisable de questionnement. Il se voit complémentaire au travail de Baillargeon en lui conférant une singularité qu’il travaille toujours à développer.

Une (très) imparfaite généalogie

L’artiste continue en faisant état de l’histoire de cette rencontre entre le texte et l’image en notant  plusieurs points tournants qui permettent au texte – poétique ou narratif – de s’extraire de ce registre convenu de l’écrit. La bande-dessinée, notamment, est vue par Baillargeon comme un lieu qui permet d’assister à la modélisation de l’image et du texte dans un univers issu de la culture populaire.

C’est en fait cette volonté de renouvellement de la vision qu’on a pu avoir de l’écrit – une vision strictement littéraire – qui en marque l’histoire. Le mot devient progressivement outil complémentaire à l’image, facilitant l’orientation du propos ou devenant strictement matière plastique.

Baillargeon mentionne que cette évolution fait dès lors de la photographie un lieu de questionnement. Le texte offre une voix à l’image en y dirigeant mieux la portée.

Le sentiment diffus d’une probable filiation

L’artiste aborde alors ses influences personnelles en établissant des ponts avec sa pratique – ancienne comme actuelle.

En prenant le photographe Dwayne Michaels en exemple, Baillargeon mentionne l’importance que l’idée de raconter a toujours eu dans sa pratique. En établissant un récit complémentaire à l’image, qui la prolonge, il fait en sorte de diriger le propos vers le particulier, vers le trait singulier que Richard qualifie d’affect.

C’est là que se situe le lien entre les mots et les images.

La transcription de l’expérience – vécue, ressentie, réelle – est majeure pour l’artiste. En citant le travail de Raymonde April, qui partage cette notion d’expérience par le biais de récits fictifs, il met en valeur le poids émotif qu’il est possible de partager à travers la narration.

L’artiste conclue ce segment de la conférence en revenant sur le sous-titre qu’il lui a lui-même donné : Hommage à Greg Curnoe.

Curnoe use du texte d’une façon que le conférencier croit signifiante : en transposant textuellement, sous forme de grandes toiles, ce qu’il voit de son atelier, le peintre rejoint cette dite dimension affective préalablement mentionnée par Baillargeon. Ce qui est ressenti trône par la transcription de l’expérience première, par l’immédiateté singulière qui se manifeste au sein des tableaux.

Des récits éclatés, des formes mouvantes

Baillargeon termine en abordant son travail personnel.

En retraçant un chemin qu’il entame vers le début des années 80, l’artiste note l’idée selon laquelle la fusion du texte et de l’image se fait progressivement plus serrée, plus fluide.

En rendant compte de ses expériences de voyages, Baillargeon introduit une narration d’autant plus rapprochée de cet affect qu’il cherche à développer. Dans D’Orient, développé en Égypte en 1988 – 1989, l’artiste reprend l’idée du journal de bord monté à l’occasion d’un voyage en y intégrant de courts textes et des images, conçus comme des fragments. Un rappel à cette iconographie du souvenir de voyage, de ces objets auxquels on attache banalement de l’importance.

Le mot, en tant qu’entité individuelle, devient important. Il prend sa place de façon affirmée, se mêle à d’autres pour créer une expression claire, simple. Ils deviennent objets visuels, se suffisent à eux-seuls.

Dans Pays Maya (2000 – 2006), Baillargeon rend tout ce qu’il a pu vivre lors d’un échange Canada – Mexique – travail réalisé, choses observées, gens rencontrés – sous une représentation schématique. Il réfère au lieu, à l’espace, en réfléchissant à cet affect de la rencontre.

L’artiste continue d’explorer, d’expérimenter avec la disposition et le dialogue des mots et de l’image. En découvrant la capacité du numériseur à plat à magnifier l’image, Baillargeon inclut progressivement l’image autre, qui n’est pas la sienne, qu’il s’approprie. Il trouve et adapte ces dites images de façon à créer d’autant plus de liens correspondants entre la picturalité et le littéraire.

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