La marche à suivre : Sauter en bas du pont

Après la vieillesse, la mer, la route régionale et le motel abandonné de La belle visite, documentaire paru en 2009, le réalisateur Jean-François Caissy se lance dans la narration du récit de l’adolescence. La marche à suivre est une production de l’ONF à l’apogée de l’art du documentaire montrant l’insouciance et la légèreté juvénile le plus fidèlement et bellement possible.

« En région, le rapport entre l’encadrement scolaire et la liberté est plus intéressant à montrer en images », explique Jean-François Caissy. La marche à suivre fait un dégagement des grands espaces, puis les contraste avec les plans d’actions d’élèves en difficulté. Les jeunes – fil conducteur de la narration – passent tour à tour dans le bureau de Claude, intervenant scolaire et figure d’autorité. Racontant une bagarre, des épisodes d’intimidation, un problème de consommation ou les désagréments d’un déficit d’attention, ils sont la représentation d’une adolescence intemporelle. Puis, la cloche sonne. Entre le ski-doo, le motocross et le frisson de sauter en bas d’un pont, il y a l’attente. Le plan final du documentaire montre ainsi un jeune qui attend l’autobus, « il fait les cents pas, il attend, attend, et c’est un peu ça, cette période de vie qu’est l’adolescence ».

Le réalisateur fait, avec ce dernier documentaire, un refus du cinéma classique. La marche à suivre est un collage contemplatif d’une très grande majorité de plans-séquences qui laissent place à la conscience du spectateur. « Comme dans mes films je ne tisse pas une histoire classique, comme c’est vraiment une suite de fragments, le fait de tourner des plans-séquences permet une plus grande aisance au montage. C’est comme des gros morceaux de puzzle qui n’ont pas d’attaches et qu’on peut placer pour avoir le meilleur impact dramatique entre deux scènes. Et souvent, pour moi, en un plan, je peux dire tout ce que j’ai à dire. »

Toujours dans cette optique de refus du cinéma classique, le documentaire présente plusieurs effets de distanciation. Parfois, lorsqu’un élève s’explique à Claude, l’image tombe au noir « pour que les spectateurs voient qu’il y a eu une coupe dans le temps, qu’il y a eu un changement et qu’on voit un autre moment. Et d’un point de vue dramatique, le fait de tomber dans des noirs, ça déstabilise un petit peu ». Le documentaire, présenté pour la première fois à la 64e Berlinale en février dernier, soulève des questions et les laisse mijoter dans la tête de celui qui regarde, suscitant la réflexion comme le rappel de doux souvenirs.

Pour une approche des plus objectives, Jean-François Caissy refuse le processus d’entrevue commun au documentaire traditionnel. « Du coup, je cherche toujours à trouver une situation dans laquelle les gens que je vais filmer sont occupés à faire quelque chose. Dans ce cas-ci, pour ces jeunes-là, le fait d’être devant une figure d’autorité, un intervenant de l’école, c’est plus important que d’être filmé. Ils donnent donc toute leur attention à Claude et comme ça, la caméra devient secondaire. C’est un truc de réalisation », dévoile le réalisateur.

La marche à suivre est un enchaînement d’images, de beautés, d’esthétisme à couper le souffle montrant sans critiquer une période de vie et ses difficultés. Jean-François Caissy construit un univers où l’adolescence, c’est une visite dans le bureau du directeur, c’est faire du skate un jeudi après-midi et prendre l’autobus pour on ne sait plus quoi.

En salle depuis le 28 novembre.

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