Quiconque s’intéresse à la poésie des dernières années aura remarqué une chose : le surréalisme, qui avait laissé une empreinte profonde sur la poésie de la seconde moitié du vingtième siècle, a été délaissé peu à peu, jusqu’à être presque absent des œuvres publiées actuellement.

La nuit rapaillée

Quiconque s’intéresse à la poésie des dernières années aura remarqué une chose : le surréalisme, qui avait laissé une empreinte profonde sur la poésie de la seconde moitié du vingtième siècle, a été délaissé peu à peu, jusqu’à être presque absent des œuvres publiées actuellement. Certains déplorent cet état de fait. Voici un recueil qui va leur plaire : Fragments de nuit, de Jean-Pierre Gaudreau.

Nous voici devant une œuvre dont la cohérence interne n’a rien à voir avec une logique extérieure, bien pensée, réfléchie, non. Il s’agit ici de se laisser prendre par l’univers des poèmes, qui s’enchaînent les uns aux autres de manière inconsciente. On ne lit pas ce recueil, on le rêve. Le titre est d’ailleurs très bien choisi, puisque l’on est devant ces textes comme devant l’évidence perdue d’un songe dévoilé, au matin, au hasard des événements qui réveillent en nous la mémoire de fragments de nuit qu’on aurait laissés s’évanouir autrement.

De multiples thèmes hantent ce recueil, mais l’œuvre demeure unifiée par sa tonalité onirique. Par exemple, les liens familiaux sont évoqués de manière récurrente, sans être pour autant anecdotiques. On est en présence d’un symbolisme puissant : on parle entre autres du père décédé, de la mère qui souffre, du fils qui erre, mais ceux-ci semblent plutôt être le reflet de la voix du poète que des personnages voulus comme des éléments d’un tout narratif. Il ne faut donc pas trop chercher un fil conducteur évident dans cette œuvre. Il y en a pourtant un, mais il résonne plus qu’il ne s’impose. Il se cristallise autour d’un très court poème, presque invisible, placé en plein cœur du recueil : « j’ai perdu / quelque chose / d’important ». On en déduit que la voix du poème est en quête de quelque chose d’essentiel que la mosaïque de ses rêves rassemblés peut lui faire découvrir. Chaque poème de l’œuvre est un mystère qui se clôt sur un silence où l’intuition pressent qu’un secret se révèle. Chaque poème est un oracle, un arcane, qu’il faut déchiffrer en regard de l’ensemble.

Lire cette œuvre, c’est faire le même chemin des profondeurs qu’a entrepris l’auteur du recueil, et c’est une expérience qui, loin d’être hermétique ou biographique, amène le lecteur vers les zones incertaines de son propre paysage onirique.

Mathieu Simoneau     

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