La situation du livre au Québec : Tristan Malavoy-Racine sonne l’alarme

La question d’une réglementation des prix du livre au Québec n’est pas chose neuve. En fait, on en parle bien depuis une quinzaine d’années. Pourtant, les chiffres semblent formels : la situation des librairies indépendantes au Québec ne fait que se détériorer et aucune mesure sérieuse n’a été prise sur le sujet. Le directeur de la collection « Quai no 5 » aux éditions XYZ, Tristan Malavoy-Racine, dresse un portrait alarmant de la situation.

Arnaud Ruelens-Lepoutre

« La part de marché des librairies indépendantes diminue année après année au Québec. Depuis deux ans, 13 librairies ont disparu. »

Le mouvement « Sauvons les livres », dont fait partie Tristan Malavoy-Racine, est apparu dans un premier coup d’éclat au Salon du livre de Montréal, le 5 novembre. Le regroupement cherche des moyens pour soutenir le réseau des librairies indépendantes. La logique est simple : « S’il est une bonne chose de vendre des livres dans le plus de lieux possible, comme à la pharmacie ou au Costco, n’oublions pas que ces points de vente sont des lieux de diffusion de best-sellers et ne porteront jamais le rôle de faire circuler tous les types de livres. »

Comme nous le rappelle si bien Malavoy-Racine, « les librairies font circuler des milliers de bouquins, et voir ces dernières disparaître les unes après les autres préoccupe beaucoup ceux qui sont attachés à l’idée que l’on puisse trouver sur le marché non seulement des livres de Janette Bertrand ou de Dan Brown, mais aussi toutes sortes de recueils de nouvelles, de poésie et d’essais, afin de conserver une bibliodiversité forte. »

Leur solution? Une réglementation du prix sur les nouveautés pendant les neuf premiers mois, avec un rabais maximal de 10 %. Une mesure qui s’éloigne fort loin de la pensée magique : « On sait que ça ne va pas tout régler. On sait que ça ne va pas faire en sorte que les libraires vont, du jour au lendemain, gagner deux fois plus de sous, ou que les librairies qui ont fermé vont rouvrir, mais c’est une mesure qui peut aider. En France, en Italie, en Autriche, en Espagne, entre autres, cette mesure a eu un effet positif, elle a fait ses preuves. »

PDG de Gallimard, Antoine Gallimard a d’ailleurs publié une lettre dans les journaux afin de prouver que les épouvantails qui avaient été brandis par ceux qui sont contre le prix fixe qui existe en France avaient tort. Cela n’aurait pas mené à une hausse générale du prix du livre. En fait, à une ou deux exceptions près, dans tous les pays où il existe des politiques de prix fixe et d’autres semblables à celle qu’on veut appliquer au Québec, la hausse du prix du livre serait inférieure à la hausse de l’indice des prix à la consommation, et ce, depuis dix ans.

« Par ailleurs, précise Malavoy-Racine, je peux comprendre qu’en France, certains libraires se plaignent d’une réglementation aussi rigide que celle d’une politique d’un prix fixe. Je me sens d’ailleurs plus à l’aise avec le type de réglementation proposée ici, qui est nettement plus modérée. Après neuf mois, chacun peut faire ce qu’il veut de sa business et vendre à 80 % de rabais s’il le désire! »

Pourtant, selon l’éditeur, les choses traînent. Le ministre Maka Kotto avait déclaré, à la suite des commissions parlementaires qui se sont tenues cet automne à Québec, qu’une décision serait rendue d’ici la fin de l’année. Malgré les rumeurs qui voudraient que ce règlement ne soit pas une priorité du gouvernement Marois et que cela prenne beaucoup plus de temps, Tristan Malavoy-Racine reste positif et ose espérer obtenir une réponse claire dans les prochaines semaines.

Ce positivisme ne s’accompagne toutefois pas d’espoirs passifs. « Il y aura d’autres coups d’éclat, le temps qu’il faut pour que les choses bougent. Je crois que nous avons en Maka Kotto un allié naturel et que le parti sera réceptif, mais comme les choses tardent et que les librairies continuent de fermer les unes après les autres, nous ne baisserons pas les bras et mettrons la pression, le temps qu’il faut », résume Tristan Malavoy-Racine.

D’un autre côté, le mouvement rappelle son rôle à titre informatif auprès de la population. En effet, il semble primordial que les consommateurs de livres comprennent pourquoi une telle mesure doit être mise en place et qu’il existe du bon dans le fait que les grandes surfaces ne puissent pas vendre au rabais des livres n’importe comment.

À savoir si ce n’était pas de contrer les forces naturelles du marché dans lequel les grandes entreprises avalent les plus petites, le nouveau membre des Éditions XYZ eut cette réponse des plus éclairantes :

« Justement oui, on pense que, dans le domaine du livre, ce serait particulièrement grave et dommageable, non seulement pour le livre et les écrivains, mais pour la société, dommageable pour la circulation des savoirs et connaissances et des arts au Québec. Le livre nous apparaît être un élément central d’une société saine sur le plan de la pensée. Donc, s’il y a bien un lieu où il faut ériger des barrages au libéralisme économique, c’est bien dans le domaine du livre et on craint l’incapacité des politiciens à ériger ces barrages devant l’économie toute puissante. »

 

 

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