Photo: courtoisie, Jean-François Hétu

La solitude en duel

Jeudi soir avait lieu à la Caserne Dalhousie la première représentation à Québec de Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès et mise en scène par Brigitte Haentjens. Présentée dans le cadre du Carrefour international de théâtre jusqu’au 27 mai, la pièce confirme le grand talent des deux interprètes Sébastien Ricard et Hugues Frenette.

La rencontre involontaire de deux hommes, l’un voulant vendre quelque chose à l’autre qui ne veut pas acheter. Voilà comment on peut résumer l’intrigue de la pièce grossièrement. Bien que le synopsis soit mince, les mots de Koltès et les thèmes abordés sont denses et percutants. Si les cinq premières minutes sont déstabilisantes par la tournure des dialogues, pour les néophytes de l’auteur, rapidement notre oreille s’habitue à cette musicalité incongrue. Les deux hommes sous une relation vendeur-client s’expriment tantôt sur le désir, tantôt sur la violence en passant par la solitude. Les dialogues de prime abord très littéraires sont livrés le plus naturellement qui soit par Ricard et Frenette, permettant la compréhension de la poésie de Koltès.

Face à face

Alors que les deux acteurs s’affrontent dans un face à face intense, le public lui aussi se retrouve dans la même position. Ainsi la moitié des spectateurs devient en quelque sorte le décor de l’autre moitié et vice-versa. Puisqu’il n’y a rien sur scène à l’exception des deux personnages et les éclairages ne servent pas à créer un décor, mais plutôt à appuyer les émotions complexes que nous vivons. Cette scénographie particulière accentue la dualité que vivent les protagonistes et donne l’effet qu’ils sont infiniment petits, contraint dans un espace de jeu restreint dans un lieu aussi vaste que la Caserne Dalhousie. Les spectateurs assistent donc à cette joute verbale incessante de manière impuissante, mais complètement immergée dans l’univers qu’a créé Haentjens avec le texte de Koltès.

Sébastien Ricard et Hugues Frenette se sont non seulement approprié ces mots, mais aussi toute une gestuelle improbable et absolument pas naturaliste. Leurs mouvements tout au long de la pièce sont à mi-chemin entre la lutte gréco-romaine et la danse contemporaine. Les dialogues effervescents donnent étonnamment un rythme lent à ce ballet. La force des deux acteurs dans ce spectacle réside à nous faire oublier qu’ils ont travaillé dure pour nous livrer cette performance autant physique que mental. Rien dans le texte et la mise en scène n’est simple pourtant leur jeu est d’une fluidité et d’un naturel désarmants.

Dans la solitude des champs de coton est une pièce pour un public averti, sinon il serait impossible d’apprécier pleinement l’oeuvre de Koltès. Un seul faux pas dans la mise en scène ou le jeu des acteurs pourrait changer l’expérience unique en une expérience pénible. Heureusement, il n’y en a pas ici et c’est certainement grâce au talent et au métier de Brigitte Haentjens, Sébastien Ricard et Hugues Frenette.

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