Critique littéraire : Je ne suis pas de ceux qui ont un grand génie de Sévryna Lupien

« L’imagination est plus importante que le savoir »

Lire Je ne suis pas de ceux qui ont un grand génie, premier roman de Sévryna Lupien, c’est contempler une toile figurative qui peut sembler assez banale jusqu’à ce que la lumière la percute sous un angle différent ; on y aperçoit alors ce filtre d’indéfini qui la recouvre et qu’il nous appartient, en tant que lecteur, d’interpréter.

Une premièCritique littérairere lecture présente les rencontres d’un jeune garçon assez naïf qui s’aventure à l’extérieur des murs de l’orphelinat Sainte-Marie-des-Cieux après s’en être échappé. Il partage alors les pensées et les réflexions qui le traversent. S’en dégage le portrait d’un enfant qui tente de mettre à plat la complexité du monde adulte pour mieux la saisir. « C’est comme ça que ça fonctionne en Afrique, dans les tribus. Il y a des dieux, et quand ils se fâchent, c’est horrible, ils vont même jusqu’à couper l’eau des fois. »

La candeur d’Auguste est désarmante, parfois à la manière du Petit Prince en donnant à voir une critique des raisonnements au fondement d’un mode de vie, sans toutefois que le personnage n’en soit conscient. Bien d’autres fois, il ne s’agit que de raisonnements qui escamotent plusieurs données d’une équation, rappelant l’innocence de l’enfance.

La narration au « je » rend explicites les pensées et les réflexions du petit Auguste (ou surnommé tel).  Les phrases sont courtes, sans ambivalence. Elles rendent bien, en général, le style qu’aurait un enfant qui consigne ses aventures dans un journal comme le fait par moments le personnage. La langue, conjuguée au propos, peut devenir rapidement lassante, car trop usuelle, rythmée par la simplicité des constructions grammaticales. Or, une seconde lecture permet d’y déceler toute la particularité du personnage en question.

Cette posture qu’adopte le roman dans les trois premières parties est contrastée par la dernière qui opère brusquement un changement de narrateur, de focalisation et de registre. C’est ce changement de perspective qui jette une lumière totalement différente sur les événements narrés précédemment.

Et pourtant, l’écriture n’arrive pas tout à fait à se détacher du style adopté jusque-là. On y décèle encore le personnage précédent dans la simplicité de ses phrases, mais surtout dans sa capacité à révéler aussi ouvertement ses réflexions divagantes, bien que celui-ci s’adresse à un inconnu. Les digressions semblent porter la volonté de créer un personnage qui a une profondeur, sans pourtant y parvenir.

Cela dit, cette dernière partie rehausse avec brio la beauté et la finesse des premières, retirant au lecteur tout ce qu’il tenait jusque-là comme certitude, le laissant, pour ainsi dire, sans mots. Sans s’en douter, le lecteur est amené à confronter la puissance de toute imagination, la sienne y comprise. Ainsi ferme-t-il son livre sur une célèbre citation d’Albert Einstein qui prend alors tout son sens : « L’imagination est plus importante que le savoir. » Le roman nous amène subtilement, par ailleurs, à réfléchir sur l’importance et le rôle de la mémoire collective et individuelle. Il s’agit d’un livre à lire, d’abord, mais surtout à relire.

4/5
Je ne suis pas de ceux qui ont un grand génie
Sévryna Lupien
Éditions Stanké
184 pages

 

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