La gestion calculée de l'énergie, couverture

Litanie romantique sur fond de bière et clope

Avec La Gestion calculée de l’énergie, le musicien et poète montréalais, David Atman, fait ses débuts en tant que romancier. Dans ce livre hybride dominé par la réflexion s’alternent récit et métarécit. Il y traite de la condition humaine d’une manière qui se veut aussi intime qu’universelle, exposant autant les paradoxes – et les travers – du narrateur que ceux de la société, de celle qu’il aime, admettant la futilité et le ridicule de bien des situations.

Le roman, tout sauf léger, met en scène un musicien à la fois blasé et passionné, qui continue malgré des succès rares et trop peu financiers pour ne pas devenir « vieux et emmerdant », pour plaire à l’être aimée. Frustré par la perte de contrôle, la surcharge de responsabilités, sa relation infructueuse, la société – en particulier le Québec parce que non souverain –, ce narrateur affirme n’avoir « jamais rien à dire » mais semble aimer s’entendre réfléchir. Au carrefour de la philosophie, de la sociologie, de la politique, il se livre à une analyse de ses propres comportements aussi bien que de ceux des gens qui l’entourent, de près ou de loin.

« Être seul m’est essentiel et ce n’est pas tant par haine des autres que par respect du Moi »

Malgré ses doutes et ses paradoxes, il affirme sans gêne, sans autocensure des propos occasionnellement dérangeants voire controversés, notamment en ce qui a trait au féminisme, qui portent le lectorat à y confronter ses propres valeurs, conceptions et réflexes.

Qualifié de roman d’amour, le livre s’avère plutôt cérébral et tend vers l’essai ou le manifeste de par son ton parfois engagé. Il fait l’effet d’un voyage astral où le narrateur – ou « protagoniste », tel que désigné – se voit mener sa vie, campé donc dans sa tête plutôt que dans l’action. Cette dernière, lorsqu’elle survient, se situe entre l’Ontario et Montréal, qui malgré une réputation faisant rêver, « reste une ville cruelle où il fait froid ».

Les brefs moments d’action servent en fait de prémices aux dérives de l’esprit. Le fil de pensée dense, presqu’ininterrompu revient inévitablement au même point : la femme aimée et hors d’atteinte. Alors le protagoniste lui écrit des lettres et des poèmes pendant sa tournée de quelques semaines en Ontario qu’il préférerait n’avoir jamais entamée.

En s’adressant à la destinataire de ses lettres – qui semble parfois personnifier le Québec, comme lorsqu’il est question de « faire l’amour à [s]on pays » – le narrateur s’adresse aussi au lectorat du livre. Ce « tu » sans nom laisse ainsi place à l’interprétation.

« Les mots en sang d’encre qui sortent de ma plume en bribes éparses, et souvent de manière incohérente, te sont destinés. […] Ils auront du sens aussi longtemps que tu les liras. »

« Et si au moins tu avais l’audace de commencer par la fin. De skipper tous les longs passages, pour te rendre à l’essentiel, à l’évidence, pour voir comment tout ça se termine, à la toute fin. Ça pourrait peut-être te convaincre que ça en vaut le coup. »

La présence intermittente d’un narrateur omniscient vient ajouter une couche méta sur un récit déjà très vaporeux dont le style semble influencé par l’écriture automatique de par ses enchaînements soudains, son flot perpétuel. Les illustrations de Mo Masaya viennent régulièrement enjoliver les pages et en souligner le contenu, permettant une pause au lectorat essoufflé, un peu confus mais songeur.

illustration de Mo Masaya

Des poèmes, plus près de la chanson que de la poésie contemporaine et que le narrateur qualifie lui-même de « navets », viennent aussi entrecouper le récit. La prose de ce dernier s’avère en effet souvent plus poétique que les poèmes eux-mêmes de par sa profondeur, ses allitérations, ses assonances, et ses jeux de mots. Malgré quelques coquilles, le langage est la plupart du temps soutenu et se pimente par moments de familiarité voire de vulgarité.

« Nous ne sommes que de doux murmures

Sur la peau écaillée des sages

Rien qu’un passage obligé

Dans l’antre des songes oubliés »

La Gestion calculée de l’énergie s’inscrit dans un catalogue très niché : les éditions de La Douloureuse Garde est une maison française apparemment récente et spécialisée dans les livres écrits par des auteurs œuvrant sur la scène musicale rock et métal.

Il s’agit somme toute d’un roman intéressant dans la forme et le style – qu’on voit rarement ailleurs – mais qui peut s’étirer malgré ses 250 pages, conséquence des nombreuses bifurcations de la réflexion et de la quasi-absence d’action. La description sensorielle du musicien pendant sa performance sur scène, celle des lieux comme la librairie et l’accès aux dessous de sa tournée figurent parmi les éléments marquants et dignes de mention.

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