Critique littéraire : Six degrés de liberté de Nicolas Dickner

Où t’es Papa Zoulou, où t’es?

Dans le domaine de la mécanique, les six degrés de liberté réfèrent aux possibilités, limitées, qu’ont les solides de se mouvoir dans l’espace. Six degrés de liberté, c’est aussi le titre du très attendu troisième roman de Nicolas Dickner, dans lequel la notion sera métaphoriquement mise à l’épreuve.

Dickner, à qui l’on doit notamment l’excellent Nikolski (2005), demeure fidèle à son style et intercale, tout au long de Six degrés de liberté, deux récits qui seront irrémédiablement liés. Étalées sur une cinquantaine de chapitres, les existences morcelées de Lisa et de Jay se nouent pour former une œuvre fascinante, tissée de main de maître.

À 15 ans, Lisa élabore des milliers de projets qui ne peuvent franchir le stade embryonnaire, faute de capitaux. Cette impuissance, doublée de l’impression d’être enchaînée au petit village où elle réside avec son père, ne fera pourtant jamais vaciller l’inextinguible flamme de son imagination. Quand son meilleur ami Éric, exilé au Danemark suite au remariage de sa mère, il bâtit un empire et devient millionnaire grâce à ses talents en informatique, Lisa pourra enfin financer une de ses lubies et « repousser les limites de l’existence humaine ».

Pour Jay, la captivité prend une autre forme. Condamnée pour vol d’identité, elle purge sa peine au service de la GRC, dans un petit bureau où ses talents ne peuvent être valorisés. En cette hacker autodidacte, le lecteur averti de Dickner identifiera la Joyce de Nikolski qui, à l’instar d’une de ces ancêtres, souhaitait devenir pirate. Maintenant presque quarantenaire, Jay/Joyce vit en automate, jusqu’à ce qu’un mystère pique sa curiosité et anime en elle la fibre du détective.

Ce qui relie Lisa et Jay, c’est Papa Zoulou, un conteneur réfrigéré de 40 pieds qui, en disparaissant de plusieurs ports mondiaux, attire l’attention de la GRC. De son propre chef, Jay enquêtera sur cette espèce de troisième personnage principal, dont les déplacements aux quatre coins du monde suivent ses propres règles – ou degrés de liberté, en quelque sorte.

À la faveur de la douce folie des protagonistes, l’union de ces fils narratifs hors du commun engendre une fiction originale, à portée quasi métaphysique. Six degrés de liberté, véritable baume contre l’ennui, fait foi du grand talent de Dickner. Sa prose, simple, fluide, invariablement recherchée et truffée de références actuelles, nuance les moments plus lourds où les rêves butent contre une réalité décevante. Cette nouveauté dans l’écriture de Dickner, qui a toujours été empreinte de légèreté et d’humour, n’enlève toutefois rien à la fraîcheur de sa plume.

Somme toute, le roman, sans longueur, se dévorera par le lecteur ludique, comme par celui qui, plus attentif, pourra savourer un souci du détail certainement maniaque.

4/5

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