Photo: courtoisie, Cassandre Lambert-Pellerin

La Déferlance: penser au-delà de Soirée canadienne

Excellente occasion pour découvrir un style musical connu de tous, mais tout de même peu diffusé dans les médias en dehors de périodes très précises de l’année, comme le temps des Fêtes et la Saint-Jean-Baptiste, la 28e édition des Rendez-vous ès Trad de Québec auront lieu du 4 au 8 octobre prochains. De nombreux artistes québécois, mais également internationaux y seront présents, en plus d’une toute nouvelle formation – existante depuis avril! – formée de deux étudiants de l’Université Laval, en plus d’un de ses diplômés et une employée de l’institution : La Déferlance. En spectacle samedi le 6 à 17h aux Voûtes de la Maison Chevalier, elle proposera un heureux mélange de pièces proprement traditionnelles et de compositions. 

« On a mis du répertoire en commun, du répertoire qui provient de différentes sources, mais surtout des pièces qu’on aime et qu’on voulait arranger, affirme le guitariste du groupe, Maxence Croteau, concernant ce que le public pourra découvrir ce samedi. Il y a des pièces qui sont vraiment proprement traditionnelle, c’est-à-dire des pièces que tout le monde connait, mais on ne sait vraiment pas c’est qui qui les a composées parce que c’est trop vieux. » 

La Déferlance a été formée il y a quelques mois, donc, à l’initiative de Marie-Desneiges Hamel, accordéoniste, qui voulait tout d’abord rassembler quelques musiciens de sa connaissance pour des contrats ponctuels, avant de poursuivre le projet d’en faire un vrai groupe. « Moi, elle m’a rencontré dans un camp de musique traditionnelle à Saint-Alexandre-de-Kamouraska, le camp de Souches à Oreilles, poursuit Croteau. Mathieu Baillargeon, qui est étudiant en mathématiques ici, aussi. Il y a trois ans, je l’ai introduit au trad tranquillement, il était déjà pianiste classique et il a pogné la piqûre assez fort. » À ce trio se joint enfin le violoniste professionnel Daniel Fréchette.  

Le public présent ce samedi pour la première prestation en public de La Déferlance pourra entendre, dans un spectacle d’environ une heure, du matériel ancien comme des compositions plus contemporaines, des pièces rescapées de l’oublie au cours de séances de collectage effectuées ces dernières années. Deux compositions originales, également. « C’est du nouveau trad, parce qu’on est un nouveau groupe, mais on s’inscrit quand même bien dans la tradition. » 

Le groupe réfléchit-il à la possibilité d’intégrer de plus en plus de compositions originales à son répertoire ? Pas nécessairement, selon Maxence Croteau, qui apprécie ce que sa formation peut contribuer dans la transmission d’airs traditionnels, une manière de les garder en vie vis-à-vis un public en constant renouvellement. « Je crois que ça va toujours rester un sain mélange entre les deux parce qu’on a envie de jouer ce qu’on aime. Ça permet aussi de mettre en valeur une bonne partie du répertoire traditionnel que les gens n’entendraient pas autrement. » 

Le trad, c’est quoi au juste? 

« Je pense que c’est quand même assez méconnu, commente Marie-Desneiges Hamel lorsqu’elle est questionnée sur le rayonnement auquel a droit la musique traditionnelle. Certains découvrent le trad par hasard, parce qu’il y a quand même beaucoup d’événement organisés en public. Sinon, c’est beaucoup associé à Soirée canadienne et au vieux son d’accordéon qui joue beaucoup à la radio dans le temps des Fêtes. Ça ne met pas nécessairement en valeur les nouveaux groupes. » 

« Disons qu’il y a des branches principales dans la musique traditionnelle au Québec, explique Maxence Croteau, il y en a une que je dirais continue, comme par exemple pour l’Association québécoise des loisirs folkloriques. Elle regroupe des amateurs de trad de père en fils et de mère en fille qui remontent peut-être jusqu’au début du XXe siècle. Il y a ensuite une branche qui est plus urbaine. Ça existe entre autres à cause des recherches en folklore qui ont été effectuées à l’Université Laval. » 

« Il y avait des intentions intellectuelles et même politiques derrière cette initiative, comme celle de revaloriser un répertoire que l’on risquait de voir disparaître. Disons que cette mouvance un peu plus urbaine de la musique traditionnelle est issue d’un mouvement reconstructionniste. » 

Les airs tels que ceux repris par La Déferlance et de nombreux artistes trad contemporains servaient principalement à l’origine à rythmer des danses. « La musique traditionnelle, à la base, c’est vraiment fait pour danser, poursuit Croteau. La structure des tounes est faite pour fonctionner avec des set carrés. Des airs sont également faits pour la gigue. » Des groupes comme La Bottine souriante ont quant à eux contribué à se réapproprier un répertoire classique tout en complexifiant ses compositions dans leur structures, en mélangeant des airs avec de nouvelles paroles.

Le cercle familial comme passeur culturel 

Marie-Desneiges Hamel, tout comme Maxence Croteau, fréquente la musique traditionnelle depuis sa tendre enfance, par l’entremise de sa famille. « Mon intérêt pour l’accordéon vient de mon grand-père, il faisait toujours de la musique quand on allait chez lui et j’aimais beaucoup ça. » C’est ainsi qu’elle a tout d’abord appris à jouer de l’instrument à l’oreille, avant de s’en voir offrir un, puis des cours pour perfectionner son jeu. Après un quasi-abandon de l’accordéon pendant l’adolescence, période où elle a plutôt pratiqué le piano classique et populaire, Hamel y revient à 21 ans avant de se joindre de plus en plus à la communauté trad 

Maxence Croteau pouvait quant à lui compter sur des parents amateurs de trad, ce qui lui a tôt permis d’assister à des festivals, de découvrir des artistes du genre, certains parmi les amitiés de sa famille. Après s’être intéressé à la musique par l’entremise de la guitare vers l’âge de 13 ans, il suit un parcours qu’il considère plutôt classique chez les fans de trad : du métal au punk, il a rapidement élargi ses horizons grâce au punk celtique, puis à la musique irlandaise. Un retour de voyage doublé d’une vive « soif de Québec » le pousse ensuite dans les bras de la musique traditionnelle québécoise, sa principale activité en dehors de ses études. 

Des tribunes insuffisantes 

Les Rendez-vous ès Trad de Québec sont une belle initiative de la part du Centre de valorisation du patrimoine vivant (CVPV), mais la scène trad peine tout de même à rejoindre son public. Y a-t-il suffisamment de tribunes pour ses artisans ? « Pas tant que ça, lance Maxence Croteau. Je regarde à Montréal, il n’y a pas longtemps, il y a eu le festival La Grande Rencontre. Des artistes sont venus d’Irlande, des États-Unis, de plein de places. John Doyle, qui est une rock star de la musique irlandaise. Dans toute la fin de semaine, il n’y a quand même eu qu’une soixantaine d’entrées. » 

« C’est dommage, il n’y a pas tant de monde que ça qui vient à ces spectacles-là. Mais j’ai l‘impression que ça va débloquer, parce que de plus en plus de gens sont prêts à entendre de la musique traditionnelle. Ce n’est plus associé à Soirée canadienne nécessairement, le monde a dépassé ce stade-là. » 

Même son de cloche du côté de Marie-Desneiges Hamel. « C’est une question d’offre et de demande, selon elle. Le CVPV fait beaucoup d’efforts pour que ce soit accessible à l’année dans des lieux publics, comme par exemple des danses traditionnelles, des ateliers dans des camps de jour pour aller chercher les jeunes. Il reste qu’ils n’ont pas beaucoup de moyens, les subventions sont coupées, donc c’est extrêmement difficile de diffuser cette musique-là et d’investir dans son rayonnement médiatique. » 

« C’est joyeux, c’est rassembleur. Ça mériterait d’être plus connu », conclut-elle.

Consulter le magazine