Un mal terrible se prépare: petite fable de survie en forêt

Présenté comme un anti-roman d’aventure mettant en scène « un Candide contemporain en vacances dans la forêt laurentienne », Un mal terrible se prépare de Laurent Lussier se vit à mesure que se remplit le carnet de notes de son personnage principal, d’espoirs en désenchantements. L’auteur déploie dans cette première parution un univers riche, s’appuyant sur une réflexion écologiste bien réelle, mais toujours en amusant décalage avec le regard naïf de son héros.  

Sans nom et sans itinéraire précis, ce dernier a la ferme intention de profiter de ses vacances – son « mois de loisir » – loin du monde et de son agitation, sa tente toujours prête à être piquée à la lisière d’une forêt hospitalière. Son répit sera de courte durée : une étrange mousse orangée recouvre le petit plan d’eau longé par l’homme en promenade, une chauve-souris purulente et moribonde échouée tout près.  

Un rapide coup de fil passé au Réseau d’urgence pour la faune, au « 1-800 quelque chose », vient rompre le farniente estival de notre rêveur alors qu’entrent en scène Dave et Diane, ainsi que le directeur de l’organisme, le Dr Denis. L’animal blessé rejoindra d’autres rescapés des environs, bêtes attaquées, orphelines et autres roadkills miraculés, dans les installations du Réseau, avant qu’une variété d’individus souffrant du même mal s’ajoute au décompte. Même léthargie, même peau ravagée par une inexplicable acné que pour la chauve-souris.  

La faute à qui, à quoi ? La pollution causée par les vacanciers et les industries des environs est évoquée, avant la découverte d’un chat affublé de greffes immondes et dont la souffrance pointe vers une intervention aussi cruelle qu’improbable. L’équipe ouvre l’enquête, des battues sont organisées, des documents leur sont subtilisés. Qui est donc ce rôdeur sadique, ce dangereux biologiste s’activant en forêt ? 

Du plaisir des regards multiples 

L’intérêt du travail de Laurent Lussier se trouve véritablement dans sa manière de faire vivre en parallèle plusieurs mondes via une variété de compréhensions différentes. La relation difficile entre l’Homme et la nature marque le roman du début à la fin, on la remarque à travers l’intérêt sincère que portent les intervenants et bénévoles du Réseau au sort des animaux auxquels ils viennent en aide, mais également à ce respect que vouent une vaste galerie de personnages secondaires à leur environnement. Certains ont quitté une vie urbaine jugée dommageable afin de vivre en autarcie dans la forêt, à grand renfort de tisanes d’écorce à l’eau de pluie.  

Une part de leurs efforts semble ici bien vaine, rigolote, mais leurs intentions n’en sont pas moins nobles. Des dommages causés à la Zoozone du Réseau, grange réemménagée en infirmerie pour les bêtes blessées, appellent ainsi une grande quantité de bénévoles, certains plutôt fantasques et animés par des idées au mieux hallucinantes, d’autres d’une bienveillance utile à la mission du Dr Denis. 

En contrepoint, le récit de l’enquête est bien mince, chaque excursion se soldant en un pétard mouillé de plus, le vilain évoluant dans l’ombre, imprenable. L’ironie injectée au roman souligne merveilleusement ce fait : la vertu seule ne règle pas tout. La lucidité assaille les plus optimistes face à l’adversité, comme par exemple Diane qui à mi-parcours exulte que « le Réseau n'[est] qu’un club de naïfs, des bonhommes gonflables avec un gros sourire, officiellement dévoués à la cause des bêtes sauvages, mais en réalité simplement bienheureux et incapables de protéger la nature lorsqu’un danger l'[assiège] ».  

Moralité 

Le narrateur-vacancier, philosophe à ses heures, émaille son exposé d’aphorismes d’une ingénuité toujours poétique, mais rarement bien utile. Le lecteur aura donc le loisir d’ausculter sa propre vie à l’aide de ce bouillon de poulet pour l’âme : « N’imposez pas aux autres votre manière de fuir », « Ignorez les leçons de vos meurtrissures », « Faites de votre manière de nuire votre manière de vous amuser ». Notons également cet appel à l’action, à ne pas s’enfarger dans les fleurs du tapis : « L’ennemi s’appelle ” c’est relatif ” ». 

« Et si d’aventure nous traversions de mauvaises surprises, pas de souci : il y aurait toujours une autre manière de faire un portrait encourageant de la situation ! Sous-estimer la force de notre adversaire, compter sur un hasard providentiel, penser que la vertu et le courage triomphent : peu importe ! » 

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