Sébastien Ricard et Hugues Frenette - Photo Alice Beaubien

Révéler la part d’animalité chez l’Homme

Dans la solitude des champs de coton fait partie de la programmation du prochain Carrefour international de théâtre de Québec qui aura lieu du 22 mai au 8 juin 2018. De l’avis de la directrice artistique du Carrefour, Marie Gignac, la pièce mettra « le feu à la Caserne [Dalhousie] ». Impact Campus s’est entretenu avec Hugues Frenette et Sébastien Ricard, composant la distribution de la pièce de Bernard-Marie Koltès.

La metteure en scène Brigitte Haentjens, immense figure théâtrale au Québec, a désigné Hugues Frenette et Sébastien Ricard à titre de dépositaires de cette pièce de Koltès.

D’emblée, Frenette se pose en artiste mature, solennel, déférent vis-à-vis l’œuvre de cet écrivain total, « prophétique », « révolté ». D’autre part, Ricard, l’étincelle logée au creux de la pupille, peine à brider sa fougue, transporté par les réflexions qu’inspire la pièce chez lui. Leur connivence est ostensible. L’arène dans laquelle leurs personnages se livrent une lutte rude est pavée de la compréhension mutuelle de l’œuvre qu’ils ont développée.

Un long et nécessaire travail en amont

Le processus de création de la pièce s’est étalé sur quelque deux ans, jusqu’à sa production à l’Usine C plus tôt cette année. Les équipes n’ont pas toujours ce loisir de travailler longtemps en amont. Or, « pour ce type d’œuvre-là, c’était vraiment nécessaire », affirme Frenette. Autrement, le coût associé au fait de mener des projets trop rapidement est cette « impression que tout le monde joue une partition différente », regrette Ricard. Dans le présent cas, les acteurs se sont progressivement dotés d’un « lexique commun ».

Outre des discussions spontanées entre les membres de l’équipe, incluant les concepteurs(rices), un travail « fondamental » dans l’espace a été effectué. Il s’agissait de créer ce « rapport intime à l’autre », selon Ricard. Après tout, au théâtre, « c’est l’autre qui détermine beaucoup ce qui va se produire ». Les mouvements de l’un sont intimement reliés à ceux de l’autre. Le texte de Koltès étant intelligible en soi, ne souffrant pas le naturalisme, il fallait l’« habiter » et en dégager certains aspects tacites, porter un souci au spectacle même, au-delà du texte brut.

Dans la solitude des champs de coton – Photo – Jean-François Hétu
Un processus de macération

Le spectacle est tributaire d’une sorte de longue macération du texte de Koltès. Pour Ricard, le travail du comédien comporte cette « forme de gestation : ça progresse, ça prend corps à l’intérieur de nous-mêmes, ça se sert de nous, c’est nous finalement qui sommes en train d’investir quelque chose de nouveau en nous ».

Frenette parle quant à lui en termes d’« imprégnation » : « c’est comme si ça se faisait tranquillement, par sédiments, un peu. On ne construit pas quelque chose de toutes pièces, mais on revêt un personnage. On s’imprègne de ça tranquillement, comme un bain de je ne sais pas quoi. Et en émergeant, on en conserve une odeur, on en conserve un goût, on en conserve les sens qui ont été actifs pendant cette aventure-là ».

Lever le voile sur la part d’animalité chez l’être humain

Ce qu’ont notamment tenté de traduire les comédiens par le truchement de leurs gestes, c’est cette animalité sur laquelle lèvent le voile certaines situations extrêmes. La pièce est ainsi plantée dans un contexte nocturne ambigu, angoissant. Frenette explique : « On se renifle, on se tourne autour… C’est vraiment pas des gestes animaux, c’est pas ça, mais il y a quelque chose de l’ordre de l’animalité. »

D’ailleurs, « la représentation théâtrale elle-même, c’est une situation de cet ordre, un peu extrême », croit Ricard, pourvue de cette faculté de réveiller certains comportements et sentiments. Une telle animalité est mise en exergue par des choix scénographiques judicieux. En effet, la proximité entre les spectateurs et les acteurs est très grande, ces derniers étant cernés par l’auditoire.

Le drame de l’incommunicabilité

Koltès est dépeint par les deux acteurs comme un « révolté ». Visionnaire, les thèmes qu’il abordait en 1985 sont « aujourd’hui à l’avant-plan », selon Ricard. Frenette affirme ainsi que Dans la solitude traite du désir immanent « de communiquer, de partager ». Et les deux hommes qui se rencontrent échouent à le faire, « ils n’arrivent pas à partager ensemble quelque chose. Pis ça, c’est très douloureux. Alors [Koltès] avait porté sa réflexion très, très loin », posant « un regard extra lucide » sur les rapports humains.

Un tel regard acéré, par un auteur total dans son engagement, ne faisant aucune concession, « est aussi fort finalement qu’une sociologie de pointe, qu’une philosophie de pointe », pense Ricard. À la différence près que « Koltès passe, quant à lui, par l’affectif, par l’intime, par l’aventure, par l’expérience concrète, par la poésie ».

 

Les représentations de Dans la solitude des champs de coton se tiendront du 24 au 27 mai inclusivement à la Caserne Dalhousie dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec. Les billets seront en vente à compter du 20 avril.

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