Photo - Courtoisie - Chantale Lecours

Sortie de scène pour Mlle Louise Beurre

Ce n’est pas pour rien que le tout nouveau et deuxième roman de Jean-Michel Fortier, Les bains électriques, était si attendu : avec Le chasseur inconnu, son prédécesseur, Fortier avait créé son propre univers, fait de mystère, d’intrigues dans un village éloigné et non identifié, brouillant de la sorte tous nos référents, mais également d’un humour narquois quoique subtil et d’un vilain plaisir à triturer la langue et les modes de narration d’un texte. Dans son nouveau cru, le retour de la comédienne Louisa Louis, alias Louise Beurre, dans son village natal sans nom provoque la commotion chez ses habitants tous plus excentriques et exaspérants les uns que les autres, dans un récit mêlant rêves, petites annonces amoureuses et une panoplie de non-dits. 

Des non-dits qui rendent bien difficile la tâche de résumer ce roman court, mais riche, où chaque personnage vit avec ses souvenirs et ses aspirations en parallèle, avant de rejoindre les autres au centre du village, ou plutôt au centre du récit, autour de Louise. Le tout débute alors que la rumeur de son retour d’Europe se répand, par effet de bouche-à-oreille, d’un citoyen à l’autre : Louise Beurre a discrètement élu domicile chez la veuve Clot, décidée tout d’abord à ne pas parader sur la main avec ses secrets. Qu’a-t-elle bien pu faire de l’autre côté de l’océan pendant ces longues années ? 

Renée Lépine, une amie de Louise veillant à faire les travaux ménagers pour un vieux rentier à l’attitude on ne pourrait plus exécrable, est particulièrement émue par cette rentrée imprévue. Elle tente de toutes les manières de rejoindre son amie, de lui trouver une situation en la faisant embaucher quelque part. Dans ses démarches, le souvenir d’une vieille dame l’ayant déjà embauchée, Madame de Sainte-Colombe, somnambule de son état, nous met au fait de sa relation trouble avec le sommeil et son pendant onirique. 

Belle Guénette cherche homme 

Le village est complété par la vaillante Céleste, vivant une relation d’amitié plutôt que d’amour avec son mari estropié Basil, la susnommée Éva Clot, qui trouve le moyen de se coincer un pied dans un seau de cendre à mi-parcours, déclenchant les rires en canne dans la tête du lecteur, mais également les richissimes Rosenberg, mère et fille, dans la résidence cossue desquelles Renée devra veiller à l’entretien d’étranges bains électriques. 

Autre personnage notable de Les bains électriques, Belle Guénette est une femme au tempérament dur et imprévisible, cherchant à refaire sa vie depuis la disparition de son mari et de sa fille dans des circonstances nébuleuses. Le Tinder de la préhistoire fera l’affaire pour Belle, qui, de petites annonces en petites annonces, recrute des hommes d’un certain âge, d’une certaine aisance financière – « Escrocs et démunis s’abstenir » -, et prêts à venir la rejoindre dans son patelin. Marcel Pellerin ne fera pas, «[il] faisait trop attention. Il déposait les objets avec trop de retenue. Il buvait à trop petites lampées. Il s’assoyait trop droitement. » 

Raymond Sauvé, non plus. Jeannot Machabée, avec « ses manies de petit roi et ses cheveux gras » ? Simple question rhétorique, il a déjà été éconduit par sa douce et est loin du village. Le folichon Samuel Tardif y a quant à lui risqué sa peau. 

Une atmosphère obsédante 

Jean-Michel Fortier a relevé haut la main le défi éternel de la deuxième proposition artistique. On ne retrouve pas dans ce nouveau roman les moments de pure absurdité qui faisait le charme de Le chasseur inconnu, le rythme rapide et régulier de ses saynètes suivant la fréquence des réunions entre le Professeur et ses ouailles ou son utilisation ingénieuse d’une narration au « nous ». L’auteur en profite donc pour approfondir la psychologie de ses personnages, malgré un récit tout aussi rythmé, se déclinant en 43 petits chapitres où les gens s’évitent ou se confrontent, auprès de la chute du village autant que dans les nombreux retours en arrière.

L’impression que l’on retire de la lecture de Les bains électriques est davantage celle d’un large tableau, le portrait d’un village entier avec tous ses squelettes, mais créé minutieusement, par accumulation de petits traits précis comme autant d’incursions dans l’âme de ses protagonistes. Ceux qui marchent en dormant comme ceux qui gisent au fond d’un trou.

 

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