Photo : Courtoisie La Distributrice de Films​​ / Denis Côté

Ta pellicule si lisse

Le 26 novembre dernier, Denis Côté a présenté en première à Québec, en collaboration avec Antitube, son dernier film: un documentaire intitulé Ta peau si lisse, mettant en lumière l’univers du culturisme. 

Déjà bien connu pour ses films Vic Flo ont vu un ours, Curling et Boris sans Béatrice, le réalisateur était présent avec l’homme fort et lutteur Maxime Lemire, l’un des participants du film.  

Ta peau si lisse se concentre à décrire la vie de tous les jours de six personnes ayant pour point commun un amour du muscle prédominant. Il y a le kid, un jeune s’entraînant dans le sous-sol de ses parents. Jean-François, barbu mystérieux qui semble être du granit découpé au silex. Cédric, le type qui a vaincu ses démons grâce à sa passion, Ronald, l’asiatique avec le plus fort accent québécois que vous rencontrerez de votre vie, Maxime, déjà mentionné, et Benoit, ancien culturiste devenu coach et thérapeute. Le film est divisé en deux parties, la première consistant à suivre leur vie quotidienne et la seconde les réunissant dans une maison de campagne.  

L’oeuvre n’a pas été fait dans le but d’être un pamphlet informatif sur le comment et pourquoi de ce « sport ». À la fin vous n’aurez aucune idée de la diète quotidienne de ces athlètes, de leur type d’entrainement, des contraintes sur leur vie que cela impose ou de leurs déceptions. Très clair en entrevue, le réalisateur ne voulait pas faire une œuvre qui lui semblerait générique et tenait à produire quelque chose de neuf. Il en est donc ressorti un trip d’esthète et de cinéaste; les images sont magnifiques, les corps bien mis en valeur et le sens des scènes nous échappent souvent mais viennent tout de même nous chercher.  

Denis Côté avait d’ailleurs tenu à cette plus grande liberté artistique que permettait une petite production. Le film ayant été tourné avec une équipe de seulement trois personnes et limité à un budget de 70 000$, Côté disait avoir besoin d’un retour à cette approche minimaliste après la très grosse production que représentait Boris sans Béatrice. Cette liberté se ressent tout au-travers du film: rythme lent, scènes incongrues, trame narrative lâche. Lorsque le tout finit, on garde une impression agréable, mais dont on ne sait trop quoi penser. 

Un visionnement bonifié par la présence du cinéaste

Le problème est peut-être justement là, car le film devient nettement meilleur une fois que Denis Côté se met à l’expliquer. De passable, il devient fort intéressant. Première surprise: ce n’est pas vraiment un documentaire. Étant donné ses effectifs réduits, il n’avait pas les moyens de faire un travail d’immersion. Il a donc préféré interroger chaque personne sur sa vie pour ensuite reconstruire un personnage et un portrait plus ou moins fidèle. D’un documentaire, on passe donc à un docu-fiction reconstituant parfois la vie des personnages, et parfois leur en créant une (par exemple le kid ne vit pas vraiment chez ses parents) au travers duquel se rajoute des scènes improvisées. Après coup c’est peut-être ce qu’on en vient à apprécier le plus: cette joie candide, mais réfléchie de pouvoir jouer avec la forme.  

Il est intéressant d’apprendre aussi la ligne directrice pour approcher son travail: le respect. Beaucoup de scènes ont été retirées simplement parce que le réalisateur craignait qu’elle puisse faire rire les gens; il tenait à faire un film qui mettrait en valeur ses vedettes, non pas qui les diminuerait. Cela mène aussi à cet intéressant paradoxe où si d’un côté il se refuse à montrer à la foule certains aspects qui pourraient être ridiculisés, il a dû empêcher en même temps certains des participants d’aller trop loin pour leur propre bien.  Si on sent dans la conversation que le réalisateur est très ambivalent par rapport au sujet couvert,  il a quand même un profond attachement à ses « acteurs », trouvés un à un à force de recherches Facebook et scrupuleusement sélectionnés par rapport au but précis qu’il avait en tête.  

Au final c’est peut-être la plus grande force et le plus grand défaut du film: le casting est si bien réussi que l’on se retrouve frustré de ne pas en savoir plus sur chacun des personnages. Si certains y verraient un grave manque, on peut aussi percevoir que c’est au contraire encore une fois un exemple de la parfaite maîtrise de Denis Côté; nous pousser à en vouloir beaucoup plus, même s’il nous a presque rien montré.

Consulter le magazine