Votre argent aussi est sous la loupe des services secrets américains

La NSA ne scrute pas que les données personnelles collectées sur le Web. Elle surveille également l’activité des comptes bancaires du monde entier. Une situation qui jette un froid sur les relations entre les États-Unis et ses alliés.

Boris Proulx
@borisproulx

Depuis juin, l’administration Obama est embarrassée par des fuites d’informations sur son agence de renseignement NSA ( National Security Agency ) au sujet de son programme de « surveillance du Web » qui permet aux services secrets de collecter les données personnelles des citoyens du monde entier. Les documents top-secret de l’agence, rendus publics grâce au lanceur d’alertes Edward Snowden, démontrent que la surveillance va en fait encore plus loin : la NSA mène une opération nommée « Follow the Money » ( « suivez l’argent » ). Sa cible : les banques étrangères. Selon le journal allemand Der Spiegel, qui a eu accès aux documents confidentiels fournis par Snowden, les activités financières sont soigneusement scrutées par l’agence controversée, au mépris même des accords internationaux des États-Unis.

L’opinion publique européenne est très sensible à la question de la protection des données personnelles. En Allemagne, par exemple, le Parti pirate, qui a comme principale revendication le maintien de la liberté sur le Web, connaît une certaine popularité électorale et possède des sièges dans les parlements de quatre Länder. En 2009, un accord international permettant à la NSA d’avoir accès aux données de l’entreprise de transfert bancaire SWIFT, basée en Belgique, avait d’ailleurs été rejeté par le parlement européen. Modifié, l’accord entre l’Union européenne ( UE ) et les États-Unis a finalement été accepté l’année suivante. Or, les documents analysés par Der Spiegel démontrent que les États-Unis ont contourné l’entente, collectant les données des quelque 8 000 banques qui utilisent le système SWIFT – qualifié de « cible » par les documents secrets. Le gouvernement allemand, scandalisé, a exigé que les États-Unis révèlent « immédiatement et précisément » l’objet de cette mission d’espionnage. Reflétant l’indignation de la société civile, des députés du parlement européen font campagne pour l’annulation des accords en matière de partage d’informations entre l’UE et les États-Unis.

Que collecte la NSA ?

On en sait maintenant plus sur les intentions de l’institution opaque qu’est la NSA, branche du département de la défense américaine. La constitution d’une gigantesque base de données financières vise à déceler les réseaux financiers des pays « d’intérêt » pour les États-Unis. Mais par la bande, la NSA collecte les données personnelles des individus du monde entier. Par exemple, le programme Dishfire recense les transactions effectuées par le biais des cartes de crédit. Si la multinationale Visa nie catégoriquement sa collaboration avec la NSA, les documents consultés par Der Spiegel prouvent que l’agence a réussi « avec succès » la traque de clients Visa en Europe, au Proche-Orient et en Afrique. Le programme de surveillance des données financières va même au-delà : les communications internes de plusieurs grandes entreprises seraient la cible d’un puissant logiciel espion nommé XKeyscore, afin d’accumuler un maximum de données sur la finance internationale.

Jusqu’où va la surveillance ? L’explosion des moyens de communication virtuels cette dernière décennie promettait une plus grande liberté d’expression et d’information qu’avec les médias de masse traditionnels. Or, depuis les récentes révélations de surveillance électronique, il semble que l’enthousiasme fait place à la méfiance. « Cette technologie joue-t-elle contre nous ? », semble demander l’opinion américaine et européenne. Chose certaine, les obscurs desseins de la NSA, et plus récemment de sa cousine britannique GHCQ ( Government Communications Headquarters ), sont désormais l’objet d’une surveillance des médias du monde. S’il est encore difficile de mesurer les impacts de ce scandale mondial sur la manière dont nous nous approprions les technologies, il est déjà clair que les « lanceurs d’alertes », comme Edward Snowden, ont aussi les moyens d’utiliser les nouveaux outils de communication pour ébranler les institutions parmi les plus puissantes de la planète.

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