Ces nations que nous connaissons à peine

Nous voyageons un peu partout autour du monde, sommes de plus en plus informés sur la misère des peuples de l’autre côté du globe, mais connaissons à peine ceux qui logent dans la cour arrière et partagent notre histoire. Le film Québékoisie, actuellement à l’affiche, scrute la relation entre Québécois dits « de souche » et les peuples des Premières nations du Québec.

Qui a découvert le Canada ? Combien y a-t-il de peuples fondateurs au pays ? Tant de questions enseignées dans les cours d’histoire, mais qui réfèrent beaucoup plus aux mythes fondateurs du Québec qu’à la réalité historique. Dans les faits, plus de la moitié des Québécois ont au moins un ancêtre amérindien, hérité de cette époque où le régime français distinguait les Européens des « Canadiens français », ceux qui ce sont métissés en occupant le vaste territoire. L’anthropologue Serge Bouchard, interviewé par les cinéastes  Mélanie Carrier et Olivier Higgins, est catégorique : le « mythe des deux peuples fondateurs » a été créé de toutes pièces par l’Église catholique, soucieuse d’exclure notre passé autochtone dans une Amérique du Nord anglo-saxonne un brin raciste. « On nous enseigne que le Canada était une terrae nullius, qu’il n’y avait personne à l’arrivée de Jacques Cartier. C’est complètement faux, et on le sait ! », explique Mélanie Carrier.

« Pour moi, le pensionnat, ça a été comme un viol culturel. » Fernande St-Onge, une femme innue de 70 ans, est venue de Shefferville pour assister à la première du film Québékoisie, jeudi dernier. À l’âge de 10 ans, elle a été arrachée à sa famille par le gouvernement du Québec, soucieux de lui fournir un enseignement en français. Malgré le traumatisme vécu, elle partage volontiers son expérience du pensionnat : « C’est comme si j’arrivais dans un monde étrange. Je me demandais : pourquoi mes parents m’ont envoyé ici ? Mais je ne savais pas qu’ils étaient obligés par [le ministère des] Affaires indiennes ». Si aujourd’hui Mme St-Onge enseigne la culture autochtone dans les écoles de sa région, elle se désole de son expérience scolaire qui a brouillé son identité. « Je ne suis pas francophone. Je ne suis pas Innue. Je n’ai pas d’identité, comprends-tu ? Encore moins mes enfants… »

L’éducation est loin d’être un enjeu dénué d’aspects politiques. Au sud, l’enseignement a contribué au renforcement de ces mythes fondateurs qui excluent la question des Premières nations ; au nord, les pensionnats ont durablement atteint l’identité collective de ces peuples à la tradition orale. Mais encore aujourd’hui, en 2013, l’éducation demeure un enjeu au centre de tiraillements politiques. Le gouvernement du Canada a présenté cet automne un avant-projet de loi destiné à « améliorer la qualité de l’éducation et les résultats scolaires des élèves des Premières Nations dans les réserves ». En somme, il s’agit d’imposer des critères fédéraux aux communautés dans la gestion des écoles dont ils ont l’autorité. Ghislain Picard, Chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, se dit insatisfait de la proposition : « c’est encore plus paternaliste que la loi sur les indiens ! » Imposer une loi en éducation est effectivement contraire à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, selon laquelle les ces derniers détiennent le droit « d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires ». Pour Ghislain Picard, il n’est cependant pas question de se décourager. « Il faut rester optimiste. Nos communautés sont encore très jeunes, avec beaucoup d’avenir ». Il est vrai que l’effervescence de l’identité autochtone ces dernières années, avec les mouvements comme Idle No More, remettent au-devant de la scène cette question si longtemps occultée.

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