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Comment chasser les dictateurs et criminels de guerre?

Reed Brody, Fannie Lafontaine et Pascal Paradis, trois juristes de renom, étaient invités à faire un état des lieux de la lutte contre l’impunité des responsables de crimes internationaux mercredi dernier au palais de justice de Québec.

Celle-ci va de pair avec un cadre juridique. Depuis l’avènement des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, l’instauration du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), l’impunité recule.

Pour Fannie Lafontaine, professeure de droit international pénal à l’UL et fondatrice de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l’UL (CDIPH), il existe « un état de droit international […] qui va mettre fin à l’impunité ». Pascal Paradis abonde en ce sens : « On avance […]. Le mur de l’impunité s’ébrèche », a-t-il expliqué lors de la conférence.

Fannie Lafontaine a rappelé les mots qui avaient été prononcés aux procès de Nuremberg. « [C]e sont des hommes, et non des entités abstraites, qui commettent les crimes dont la répression s’impose, comme sanction du droit international. » En faisant mention à ce procès, Me Lafontaine est revenue sur l’importance de la « responsabilité intellectuelle » des instigateurs de crimes internationaux n’ayant pas de « sang sur les mains », à l’image de dictateurs ou de criminels de guerre.

Encore des défis à relever

En dépit du cadre juridique existant, il reste deux défis à relever selon Me Lafontaine. Le premier est relatif à la « sélectivité » des affaires. Aujourd’hui, il y a le sentiment qu’un « colonialisme judiciaire » continue d’exister, a-t-elle expliqué lors de l’entretien au palais de justice. En réalité, outre les examens préliminaires, toutes les situations et affaires en cours devant la Cour pénale internationale (CPI) concernent des États africains tels que le Kenya, l’Ouganda et le Soudan.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui encore, l’impunité persiste et il semblerait que la poursuite de certains anciens chefs d’État soit impossible. « Si vous tuez une personne, vous allez en prison. Si vous en tuez dix, vous allez dans un asile psychiatrique. Si vous tuez mille personnes, vous allez en conférence de paix », a indiqué Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de Human Rights Watch, en faisant allusion au fait que certains anciens chefs d’État ne répondent pas de leurs actes devant la justice.

Le second défi concerne les espoirs importants qui ont été placés dans la justice pénale internationale. « On a des attentes extrêmement élevées », soutient la professeure de droit de l’UL. Elle explique que l’instauration d’un système pénal international reposait sur l’illusion selon laquelle la justice allait prévenir les conflits. « On a fait cette erreur-là, et on continue de la faire », estime-t-elle.

Les difficultés de la justice transitionnelle

Liée au second défi relevé par Me Lafontaine, il y a la question de la justice transitionnelle. Celle-ci s’entend comme la mise en place de mesures judiciaires et extrajudiciaires destinées à faciliter le processus de paix et à limiter les violences lors de la cessation d’un conflit armé. Elle rejoint le débat paix-justice ou l’idée selon laquelle la paix ne saurait exister sans la justice.

Pour Fannie Lafontaine, c’est un « faux débat » dans la mesure où tous les conflits armés reposent sur des contextes différents. « Malgré ce que veulent faire croire certaines ONG […] il n’y a pas de solution dogmatique. Il faut adapter », explique-t-elle. Elle ajoute que « [la paix et la justice] sont possibles, mais les questions de timing sont la clé ».

Outre des questions procédurales complexes liées à la saisine de la CPI, l’arrestation de Bashar al-Assad est loin de faire l’unanimité. Embraserait-elle le conflit ou au contraire, apporterait-elle la paix ? Les questions restent ouvertes. À faire le choix entre la paix ou la justice, Reed Brody a conclu son propos en disant vouloir privilégier la justice.

En bref

CPI : Cour pénale internationale. C’est une instance internationale qui est compétente pour juger les crimes internationaux tels que le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime d’agression.

TPIY : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Situé à La Haye et créé par le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) en 1993, il a jugé les crimes commis durant le conflit yougoslave. Le jugement le plus récent a été prononcé le mois dernier à l’encontre de Radovan Karadžić. Il a été condamné à quarante années de prison pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre en raison de son implication dans le drame de Srebrenica, considéré comme l’un des pires massacres commis depuis la Seconde Guerre mondiale en Europe.

TPIR : Tribunal pénal international pour le Rwanda. Également instauré par le CSNU, il se situe à Arusha, en Tanzanie. Son travail s’est axé sur le génocide des Tutsis, commis par le pouvoir Hutu. Ce massacre a coûté la vie à un million de personnes. Il est considéré comme l’une des plus grandes tueries que le vingtième siècle ait connues.

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