Femmes journalistes : La dynamique des genres

Un homme journaliste, une femme journaliste, qu’est-ce que ça change ? Anne-Sophie Gobeil vient de terminer son mémoire de maîtrise sur la dynamique des genres du milieu journalistique. Retour sur des a prioris sexistes.

Dans le feu de l’actualité internationale, au fil des images, des sons et des témoignages qui nous transportent aux quatre coins de la Terre, quelquefois, la question se pose : ce beat est-il plus difficile à couvrir en tant que femme? Si l’on se fie à nos a prioris, oui. Pourtant, Anne-Sophie Gobeil, nouvellement doctorante en communication publique de l’Université Laval, prouve le contraire.

Pour sa recherche, elle s’est basée sur des entrevues semi-dirigées avec huit journalistes québécoises correspondantes à l’étranger. Les résultats font ressortir une dynamique de genre traditionnelle bien ancrée. Et un malaise certain.

« Journaliste », un mot sans genre apparent ?

À la base, le métier est pourtant identique, et ce, peu importe le sexe. « Si tu es dans un conflit armé et que cela adonne que tu sois au milieu des tirs, que tu sois une femme ou un homme, tu ne veux pas peut-être te faire tirer », souligne d’ailleurs l’une des intervenantes d’Anne Sophie. Une autre explique à Anne-Sophie qu’être une femme dans ce milieu, « c’est un handicap comme porter des lunettes ». Personne n’en meurt, il faut juste s’adapter et surmonter sa « myopie ».

Paradoxalement, la jeune chercheuse fait état d’un malaise palpable lors des entrevues avec les correspondantes. Sans l’avouer ouvertement, elles témoignent d’une dynamique des genres bien établie. « Elles ne veulent pas dire théoriquement que ça existe, mais avec les expériences, elles le reconnaissent, rapporte-t-elle, ajoutant du même souffle que « la perception du genre change aussi selon les personnes. »

Stratégies de genre

Sur le terrain, leur sexe n’empêche pas les femmes journalistes de rivaliser d’ingéniosité pour exercer leur métier. Afin de se fondre dans la masse, plusieurs intervenantes s’habillent selon la culture des lieux. Cet « habillement du genre » constitue une sorte d’armure en tissu pour les femmes journalistes. Idem pour le fait de prétendre d’être « mariée ».

Mais les stratégies ne se limitent pas qu’à l’apparence. Certaines professionnelles utilisent la séduction tandis que d’autres feignent l’air « nunuche » afin d’obtenir des informations. Ces stratégies permettent « de négocier le genre », explique Anne-Sophie. Les femmes passent outre les difficultés afin de travailler dans les meilleures conditions.

Du terrain à la salle de rédaction

Au départ, Anne-Sophie Gobeil voulait concentrer son mémoire sur les journalistes à l’étranger. Or, à force d’entendre ses huit intervenantes mentionner l’atmosphère « ultra masculine » d’une salle de rédaction, elle a choisi d’élargir son sujet. Des remarques sur le beat féminin, sur les enfants et sur l’écriture féminine sont quelques exemples que rapportent ces journalistes.

Le harcèlement sexuel est également très présent dans les salles de rédaction. Anne-Sophie l’explique par la concentration du pouvoir entre les mains des hommes. Peu de femmes grimpent les échelons hiérarchiques; les postes prestigieux sont souvent donnés à des hommes. C’est ce qu’elle appelle la « culture organisationnelle masculine ».

Anne-Sophie Gobeil ne peut s’empêcher une pointe d’ironie : « Donc les femmes, même si elles ne sont pas correspondantes à l’étranger, sont prises dans une espèce de structure vraiment contraignante qui les force à travailler plus, à faire plus d’efforts. »

Le point de vue du Mexique

Daphné Lemelin est fraîchement diplômée de l’Université Laval. Sa maîtrise en journalisme international en poche et après y avoir réalisé un stage, elle réussit à prendre le poste de coordonnatrice du bureau vidéo à l’Agence France-Presse à Mexico.

Cacher cette féminité que je ne saurais voir

La jeune femme est catégorique : elle travaille comme journaliste. Pas comme une femme ou un homme. Journaliste, c’est tout. Elle soutient ne pas avoir réellement « vécu de problème du fait d’être femme dans sa vie professionnelle ».

Toutefois, elle souligne qu’une femme journaliste doit faire face à « beaucoup de défis », surtout dans des sociétés machistes, comme celle du Mexique. Si elle s’y est elle-même fait une place, c’est au prix de certaines précautions, comme de dissimuler sa féminité. « C’est un peu ridicule de devoir le faire, mais moi je me sens plus à l’aise de ne pas être jolie. C’est une certaine protection », explique Daphné.

Une lame à double tranchant

Blanche et blonde aux yeux bleus, dans un pays où les gens sont très homogènes, il est difficile pour Daphné de se fondre dans le décor. « Je n’ai pas les moyens de dire “non, non, je suis born and raised au Mexique”, c’est impossible », ironise-t-elle.

Ce désavantage peut vite changer de bord et devenir utile sur le terrain. Parfois, on va même jusqu’à la laisser passer devant. « Dans un métier qui est super compétitif, je ne vais pas dire “non merci” », s’exclame celle qui n’hésite jamais à foncer dans le feu de l’action.

Et vice versa : dans certaines zones, le fait d’être une femme peut être un problème. « Dans les zones où il y a des cartels qui prennent des photos et enregistrent ce qui se passe, c’est inévitable, je me fais remarquer », souligne Daphné.

Se faire sa place

Curieusement, c’est peut-être auprès des siens qu’elle a dû batailler ferme pour se faire respecter. Par exemple, elle a dû avoir une conversation avec chacun des photographes — tous des hommes — afin de leur marteler « je suis capable ».

Un combat de longue haleine qui lui a permis d’établir des « relations de confiance importantes » avec ceux qui, avec elle, occupent les premières loges sur le terrain.

Mais surtout un combat qui lui a permis de se bâtir une crédibilité.

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