Grandeurs et misères de la liberté d’expression

Les journalistes Jean-François Lépine, Chris Hedges et Julio César Rivas étaient réunis à l’occasion du 81e congrès de P.E.N. International. Cette table ronde, animée par la très honorable Adrienne Clarkson, porte le titre « Libres de s’exprimer ». Du rôle du journalisme local à la liberté d’expression dans le monde, l’échange offre un éclairage saisissant sur les défis et l’évolution de la liberté de parole autour du globe.

La Chine représente une superpuissance économique et est maintenant un acteur incontournable au sein de la société internationale. Mais qu’en est-il des droits sociaux et politiques, réputés comme étant malmenés ?

Avec un optimisme à peine voilé, le journaliste émérite et analyste international Jean-François Lépine nuance la situation, s’exprimant sur la situation nationale après l’ère de Mao. À la suite de la mort de « cet être perfide qui a fait taire plus d’un milliard de personnes », les Chinois connaissent une indépendance se répercutant dans la culture, l’art et l’expression de la population.

D’après l’ex-correspondant en Chine pour CBC/Radio-Canada, les Chinois ont maintenant beaucoup plus d’autonomie face au gouvernement qui, auparavant, allait jusqu’à contrôler les rations de nourriture allouées aux gens. « Le journalisme est en expansion, un débat a lieu au sein du Parti communiste chinois, les gens communiquent, s’organisent, manifestent », soutient l’ancien animateur d’Une heure sur terre.

En dépit de la présence de vagues d’autoritarisme et de répression, les citoyens ont une plus grande fenêtre d’expression et le militantisme prend de l’essor. Pour Lépine, des signes d’essoufflement du parti de Xi-Jinpig sont perceptibles. L’État dépense des fortunes dans l’appareil policier, et multiplie les arrestations. La « machine craque », pense-t-il.

Pression commerciale et politique

Ce phénomène n’est pas unique à la Chine ou à l’Asie. Il survient également en Afrique et en Amérique latine. Il y a un bouillonnement d’idées, des réformes politiques et, toujours, le journalisme pour les dévoiler. Le professionnel de l’information « porte la plume dans la plaie » (Albert Londres), mettant ici et là l’éclairage sur les violations des droits fondamentaux, la corruption tentaculaire et les soulèvements populaires.

Un éclairage qui, parfois, peut sauver des vies. Le correspondant pour l’agence de presse espagnole EFE Julio César Rivas en sait quelque chose. Il raconte une histoire vécue au Guatemala, en pleine guerre civile : « Des fermiers locaux protestaient contre l’armée qui avait saisi leurs terres à des fins militaires. Un des soldats a attrapé son arme pour en finir, mais il a renoncé en me voyant. Il a eu le culot de me dire que si je n’avais pas été là, il les aurait tous tués. »

Cette expérience poignante témoigne concrètement du pouvoir qu’exerce le journalisme dans la protection des plus vulnérables. Pour Rivas, le rôle du journaliste est de donner une voix à ceux que personne n’entend. Selon lui, c’est le journal local qui répond fidèlement à ce rôle.

Influences indues

Que ce soit en Tunisie, au Mexique ou aux États-Unis, c’est souvent la presse alternative qui met l’accent sur des enjeux évités par les chaînes traditionnelles d’information. En couvrant l’exclusivité, les autres médias n’ont pas le choix de faire de même.

Toutefois, les sphères de pouvoirs et les médias traditionnels tentent constamment de discréditer la nouvelle gênante, nuance Chris Hedges. Celui qui a délaissé le New York Times pour écrire dans plusieurs journaux indépendants ne mâche pas ses mots. « Le plus près tu te trouves de puissants intérêts commerciaux, le plus censuré tu es. Si tu pousses le bouchon trop loin, tu vas en subir les conséquences », prévient ce gagnant d’un prix Pulitzer, visiblement en connaissance de cause.

À ce sujet, les experts invités critiquent sans gêne le contrôle des médias de masse dans la diffusion de l’information et dans la subvention aux organismes de nouvelles. L’intégrité de la profession s’effrite face aux pressions gouvernementales et commerciales. C’est la qualité du travail des reporters, mais aussi du lien qu’ils entretiennent avec leurs sources d’informations, qui en paie le prix. Pour Hedges, l’employeur doit constamment choisir entre un bon journaliste et un autre fidèle à la ligne éditoriale.

Même constat chez Lépine. Celui qui a subi les nombreuses vagues de compressions budgétaires chez Radio-Canada. Il soutient que ce type de pression brime inlassablement la liberté d’expression et de presse. « Plus on choque, moins on a de ressources. La réaction suite aux dernières coupures à Radio-Canada était de ne pas déranger, de faire attention. De peur que le robinet se ferme », déplore-t-il.

Lueurs d’espoir

Contrôle commercial, censure gouvernementale et emprise des médias traditionnels : les défis de la liberté d’expression et de presse sont manifestement les mêmes d’un océan à l’autre.

Pourtant, les Lépine, Hedges et César Rivas contemplent l’avenir de manière encourageante. Selon eux, le journalisme se distance hâtivement de la corruption. L’accès à l’information est grandissant et atteint toutes les sphères sociales. De plus, nous sommes témoins d’une prolifération des écrits, déclarations, organisations luttant pour la défense des droits et libertés fondamentales.

Malgré les irritants et en dépit de ses nombreux défis, la liberté de parole forge intarissablement sa place partout dans le monde.

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