La vie après Fidel

Le grand artisan de la révolution qui a détrôné Fulgencio Batista le 1er janvier 1959 n’est pas apparu en public depuis juillet 2006, date à laquelle il a subi une opération aux intestins. En convalescence depuis ce temps, il continue d’intervenir dans la vie publique grâce à des chroniques dans le Granma, le journal du Parti communiste. La dernière remonte au 16 décembre dernier. «À la limite, Fidel est peut-être déjà mort», avance Sabrina Doyon, professeure au Département d’anthropologie de l’Université Laval. Les images les plus récentes du Comandante datent du mois de novembre, au moment de sa rencontre avec le président russe Dmitri Medvedev et son homologue chinois Hu Jintao.

Néanmoins, ce ne serait pas la première fois que l’on croirait à la fin de l’irréductible socialiste, aujourd’hui âgé de 82 ans.

Castro ou Castro
En février 2008, le mythique dictateur caribéen a confié les rênes de l’État à son frère Raúl, qui a poursuivi son œuvre dans une continuité relative. «Raúl et Fidel partagent les mêmes idéologies, explique Sabrina Doyon. Certains disent que Raúl est plus ouvert; il a voulu réintégrer certains cercles diplomatiques. Mais des changements fondamentaux, il n’y en a pas tant que ça depuis qu’il est au pouvoir.»

Aussi Raúl Castro s’est-il contenté de permettre aux Cubains de posséder des cellulaires et d’avoir accès à Internet, ce que peu d’entre eux peuvent se permettre. «À l’extérieur de La Havane, où les gens ont plus de moyens, les cellulaires ne changeraient rien au quotidien.» Les communications restent surveillées partout dans l’île, les appels étant sur écoute et les courriels, passés au peigne fin. Dans son Rapport annuel 2008, Reporters sans frontières remarque que «la situation des droits de l’homme n’a connu aucun progrès en un an et demi de présidence intérimaire de Raúl Castro.»

Néanmoins, c’est la situation économique qui reste la préoccupation la plus immédiate pour la majorité de la population cubaine, fait remarquer Sabrina Doyon. «Les gens sont d’abord préoccupés par ce qu’ils vont manger demain […] Les trois ouragans qui ont secoué l’île à l’automne ont affecté les agriculteurs, et des producteurs de tabac qui vendent leurs cigares en dollars américains», souligne-t-elle. Plusieurs d’entre eux ont vu leur maison détruite par les récentes catastrophes naturelles. «Le gouvernement donne les matériaux pour reconstruire les maisons perdues, mais actuellement, il y a trop de demande. Il y a du rationnement au niveau de l’électricité. Raúl Castro a annoncé des restrictions budgétaires importantes pour les prochaines années.»

L’effacement de Fidel au profit de son frère semble somme toute faire peu de remous. Pour Jonathan Paquin, professeur au Département de science politique de l’Université Laval, ce n’est d’ailleurs pas tant la mort de Fidel Castro qui pourrait amener un changement à Cuba que la disparition de la vieille garde révolutionnaire. «Les choses vont commencer à changer quand Raúl va décéder. Tant qu’il y aura un Castro à La Havane, les choses resteront au beau fixe», estime-t-il.

Qui veut la peau du régime?
Néanmoins, plusieurs surveillent un éventuel ébranlement du régime castriste, auquel cas, «tous les scénarios sont possibles, lance Sabrina Doyon. Les Cubains de Miami ont un œil sur leurs anciennes propriétés. Ils avaient des terres qui vaudraient beaucoup d’argent dans un système capitaliste». D’un autre côté, la gauche latine, qui prend Cuba pour modèle, pourrait vouloir la garder de son côté. «On ne sait pas à quel point Hugo Chávez a des vues pour la suite.»

Fait à noter, l’île connue pour ses plages de sable fin pourrait développer un nouveau secteur économique : l’or noir. Cuba recensant des puits de pétrole, elle pourrait attiser les convoitises, selon Mme Doyon. Alors qu’en 2005, elle produisait 72 000 barils par jour, de récentes estimations parlent de 2 milliards de barils en réserve, ce qui permettrait, d’ici 2015, d’en produire 700 000 supplémentaires chaque jour.

Obama et Cuba
Même si les États-Unis n’ont probablement pas de plan pour déstabiliser le régime castriste, reste qu’ils ont une grande influence sur l’île, ne serait-ce qu’en raison du blocus économique qu’ils lui imposent depuis 1962.

Lors d’un débat de la course à l’investiture démocrate, en août 2007, Barack Obama s’était dit favorable à un allègement de cet embargo et s’était engagé à faciliter les visites des Cubains en exil à leur famille. De son côté, la prochaine secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, a toujours été plus conservatrice, affirmant qu’elle ne dialoguerait pas avec Cuba tant qu’il n’y aurait pas de changement en faveur de la démocratie chez ses voisins du sud.
L’arrivée de Barack Obama à la présidence des États-Unis ne devrait pourtant pas tellement changer les relations américano-
cubaines. «Dans le meilleur des cas, si Barack Obama a du temps et de l’énergie à consacrer à un rapprochement diplomatique avec Cuba, Raúl va rester fermé», croit M. Paquin. Le président cubain continue de pointer les États-Unis comme un «ennemi». Dans le même sens, la professeure de science politique de l’Université Laval Anessa Kimball affirme que «pour Obama, ce qui est important, c’est la promotion de la démocratie. Mais sa priorité, ce sera la crise économique, ainsi qu’assurer une transition pacifique à la présidence.»

C’est d’ailleurs dans cette optique qu’elle considère la question de l’embargo : «Pour Obama, la question de l’embargo est difficile. Son électorat, ce sont les ouvriers. Il a tendance à les protéger et à protéger le commerce. La levée ou l’allègement de l’embargo à Cuba pourrait ouvrir de nouveaux marchés pour les entreprises américaines, mais aussi faire entrer les biens cubains dans le marché intérieur. Qu’est-ce qui est le mieux pour les États-Unis en période de crise économique?»

Le choix d’Hillary Clinton comme chef de la diplomatie américaine pourrait-elle durcir les positions plus souples de Barack Obama? «Ce serait une possibilité. C’est une bonne question : Hillary suivra-t-elle Obama ou ses propres convictions? L’offre à Mme Clinton peut jouer dans les plans du président élu», concède Mme Kimball, n’écartant pas l’idée d’une potentielle démission de Mme Clinton, qui «n’a peut-être pas les mains assez délicates pour la diplomatie». Mais M. Paquin est catégorique : «Le président, c’est Barack Obama, c’est son opinion qui importe.»

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