L’éducation, source de combat

C’est vendredi dernier au 2F du Pavillon Charles-de-Koninck que s’est déroulée la conférence-débat donnée par le doyen de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités à l’Université de la Manouba en Tunisie. Activité organisée et financée conjointement par deux organisations de Québec, l’ASTUL (Association scientifique des Tunisiens à l’Université Laval) et l’ATUQUE (Association des Tunisiens de Québec).

La salle était comble et le dynamisme conférencier-public des plus agréables. Intitulée « La révolution dans l’université tunisienne : entre menaces et opportunités », elle portait sur l’indépendance des universités tunisiennes après les événements du printemps arabe à l’égard du gouvernement (relation cristallisée lors du régime de l’ex-raïs Ben Ali par la censure), mais aussi de différents protagonistes, tels que certains membres de la mouvance salafiste qui ont revendiqué le droit aux femmes portant le niqab (voile intégrale) d’assister aux cours et de passer leurs examens, en plus de demander la construction d’une mosquée à l’intérieur de l’enceinte universitaire.

À peine une cinquantaine de jeunes, voilà la quantité nécessaire pour empêcher la tenue de cours et chambouler la vie de milliers d’étudiants et de dizaines de professeurs à l’Université Manouba en décembre 2011. Ces jeunes, en majorité étrangers au corps estudiantin, ont pu investir les lieux un peu moins d’un mois sans être réellement dérangés par les autorités policières et gouvernementales. Délogés au final début janvier (et sans être accusés pour leur occupation illégale et la perturbation créée), ils ont recouru à d’autres méthodes pour faire pression au doyen, M. Kazdaghli, reconnu pour sa lutte enflammée contre les actions et symboles portant atteinte aux droits et libertés et signes de régression selon lui. Intriguant en effet, la Manouba est la seule à avoir eu d’aussi grands problèmes du genre. Plusieurs se demandent s’il s’agit de simples circonstances ou si la présence du doyen y est pour quelque chose. Porté devant les tribunaux et accusé de voie de faits dans l’exercice de ses fonctions (il aurait giflé l’une des étudiantes portant le niqab), il a été par la suite acquitté le 2 mai 2013. Coup de revers pour ses accusatrices : elles ont été condamnées à deux mois de prison pour avoir saccagé le bureau de ce dernier. La saga ne finit pas là ; M. Kazdaghli devra de nouveau se présenter devant la justice, car le ministère public a interjeté la cause en Cour d’Appel.

Comme l’a brillamment souligné le conférencier, toute « révolution » est menacée par une « contre-révolution ». La place et l’indépendance de l’éducation est extrêmement crucial, puisque la pensée critique des citoyens de demain est conditionnée en partie par les apprentissages au sein des institutions scolaires. La Tunisie, connue pour sa sécularisation des plus rapides par le père de la République, Habib Bourguiba, verra-t-elle l’éducation de ses enfants soumise à l’influence d’un nouvel Islam qui se veut dénué de toute innovation… et de contextualisation ? La société en générale, qui n’est pas l’auteure de cette sécularisation (il s’agit bien du gouvernement et de l’élite intellectuelle), sent-elle le besoin d’un retour à l’une des composantes fort primordiales de son identité, soit l’Islam ? Ou est-ce justement ce besoin de renouement avec cette composante cruciale qui est brillamment manipulé par de charismatiques prédicateurs dont les agneaux sont dépourvus de pensée critique, triste legs d’un système éducatif où le développement de la pensée critique était une menace potentielle de contestation du régime autoritaire en place ? Toutes ces questions verront leurs réponses venir… au fur et à mesure que l’Histoire s’écrira.

– 6 % : c’est le taux de participation des 19-23 ans aux élections d’octobre 2011 selon les chiffres de l’ISIE (Instance supérieure indépendante pour les élections)

– Taux de participation de 52 % aux élections de 2011 ; sur 8 289 924 électeurs potentiels, 4 308 888 votants se sont présentés

– 89 sièges sur 217 de l’Assemblée nationale constituante ont été attribués à Ennahdha, le parti islamiste toujours au pouvoir en Tunisie

– Taux d’alphabétisation des adultes (15 ans et plus) de 77.8 % (2008)

– Taux d’alphabétisation des jeunes femmes (96 %) et des jeunes hommes (98 %) (âgés entre 15-24 ans, selon les chiffres de 2007-2011)

– Habib Kazdaghli fera de nouveau face aux tribunaux cette semaine (Cour d’Appel). C’est un dossier à suivre !

– Les chroniques du Manoubistan relatent les événements de la Manouba qui ont débuté en novembre 2011 où l’université tunisienne a dû lutter contre des membres se revendiquant de la mouvance salafiste. Écrit de manière chronologique jusqu’au 22 août 2012 et bien que manquant par endroit d’objectivité, ce livre est absolument à lire pour connaître davantage les péripéties se déroulant dans les coulisses du pouvoir. Disponible pour achat sur le site Internet de la librairie Al-Kitab (http://www.librairie-alkitab.com)

– La conférence-débat, filmée par le média Tunivisions, devrait être disponible sous peu sur leur site web (http://www.tunivisions.net/canada). Pour tous ceux qui l’ont manquée, c’est un second rendez-vous sur le net !

– Le visionnement du reportage de 66 minutes est disponible sur YouTube (http://www.youtube.com/watch?v=b5Q7VUjtPIw). Ne pas oublier de faire un exercice de relativité dans les propos diffusés par l’émission.

– Salafisme : courant d’interprétation de l’Islam qui milite pour un retour aux origines, dénué de toute innovation, se basant sur la Coran (livre saint de l’Islam) et la Sunna (pour faire simple, la pratique du Prophète Mohamed) et se distinguant du wahhabisme par la volonté d’instaurer un califat (forme de gouvernance islamique)

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