Croire que le crime organisé n’existe que dans un conflit avec l’État est trompeur. Christopher Sabatini, rédacteur en chef d’American Quarterly, affirme qu'elle représente « actuellement la pire menace à la démocratie ». Dans un contexte plus général cependant, les relations du crime avec l’autorité sont beaucoup plus floues.

Les rapports ambigus de l’État et du crime organisé

 

Dans un article publié en 2002 dans Crime, Law & Social Change, Letizia Paoli rappelle que les groupes comme les Yakusa au Japon ou la Cosa Nostra en Italie se sont développés à une époque où leurs activités n’étaient pas toujours considérées comme illégales, et n’entraient pas en conflit avec l’État.

Les liens de connivence

A l’opposé, le développement du crime organisé contemporain montre des rapports équivoques avec l’autorité. Corruption et népotisme font souvent les unes des quotidiens au sujet de scandales reliant les organisations criminelles et politiciens.

Dans les années 1980, la presse américaine rapportait les poursuites du Procureur fédéral Rudolph Giuliani contre les criminels en col blanc de New York. La décennie suivante en Italie, l’Opération mains propres lançait la guerre de la Justice contre les mafias et les politiciens corrompus. Entrepreneurs, sénateurs, anciens ministres, personne n'a été épargné. Ces affaires ont révélé au grand jour les liens qui unissent parfois le crime organisé et les dépositaires de l’autorité publique, jusque dans les démocraties.

 Aujourd’hui encore, la guerre contre le narcotrafic au Mexique en est un exemple criant. En 2008, Armando Alexis rapportait dans Le Monde diplomatique que certains groupes criminels comme les Zetas sont composés d’anciens membres des forces spéciales mexicaines. En 2011, Vincent Foucher, chercheur à l’International Crisis Group, présentait à Radio France Internationale (RFI) les liens de l’ancien Président de Guinée-Bissau Joao Bernardo Vieira et de son Chef d’État-major de la Marine avec le trafic de drogue international. Ces exemples illustrent à quel point le crime organisé contemporain ne s’est pas développé indépendamment des représentants de l’autorité publique.

Mafias, chefs de guerre et États défaillants

Dans un article publié en 2001 dans Economics of Governance, Stergios Skaperdas, professeur d’économie à l’Université de Californie à Irvine, expliquait comment « le crime organisé émerge d’un vide de pouvoir » lorsque l’État n’exerce pas son autorité. C’est dans un tel contexte que les organisations criminelles historiques – les mafias en Italie, en Sicile et aux États-Unis, les Triades en Chine ou les Yakusas au Japon, parmi d’autres – ont réalisé leur expansion. C’est également dans un contexte similaire qu’on assiste à la résurgence des chefs de guerre en Somalie, par exemple, dont l’une des vocations est de déstabiliser l’État pour asseoir leur pouvoir.

Penser la criminalité organisée demande donc qu’on prenne du recul du fait de sa complexité. Les organisations criminelles ne se développent pas nécessairement contre l’État. Cela peut aussi se faire en connivence avec les représentants de l’autorité publique, voire même en palliatif à leur absence ou inefficacité. Les relations des organisations criminelles avec l’État sont donc variées, et les limiter à une simple opposition est réducteur.

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