À Montréal comme à Kaboul les femmes servent le café

Michèle Ouimet, journaliste de profession, a visité de nombreuses zones de combat. Ces coins de la planète dont on ne se souvient que grâce aux Kalachnikovs et aux machettes. D’Afghanistan, elle rapporte un roman douloureux: La Promesse.

Le roman, tout comme le vie professionnelle de l’auteure, se partage entre la politique municipale de Montréal et les rues de Kaboul. Histoires croisées de femmes entre Kaboul et Montréal. Des femmes qui font face aux hommes et à l’adversité de manières différentes.

À Montréal, Louise voit sa vie personnelle s’effriter au contact de son travail et des souvenirs qui hantent ses nuits. À Kaboul, Soraya se terre dans un refuge pour femmes battues, traquée par la tradition qui écrase la jeune femme de tout son poid. Un poids qui l’étouffe tout autant que son mari lorsqu’il la viole.

Il s’agit d’une première expérience littéraire pour cette journaliste chevronnée: « En écrivant une oeuvre de fiction, j’ai beaucoup plus d’espace que dans un journal. Ensuite il y a le temps; lorsqu’on écrit un roman, on a le temps », explique-t-elle. « Il y a aussi la vérité. La toile de fond, elle est vraie, mais tous les personnages, je les ai inventés. je n’avais pas besoin de revenir dans mon calepin de notes tout le temps ».

N’empêche que ce livre est écrit par une journaliste. Les mots sont utiles, tassés et bien placés. Peu de phrases sont inutiles. Le lecteur n’est pas épargné non plus puisqu’il est jeté dans l’action crue, sans filet.

Au delà des histoires de souffrances, le livre se veut un hymne à la force de femmes qui, malgré leur détresse, font preuve d’une grande force de caractère, tout comme Michèle Ouimet qui semble vouloir exorciser son impuissance à aider les pays en guerre: « C’est comme si il y avait un immense malentendu entre la guerre et moi. Je ne peux pas dire que les mouvements de troupe m’intéressent beaucoup, mais l’impact d’une guerre sur les populations, ça, ça m’intéresse », explique-t-elle.

L’Afghanistan est un pays que l’auteure aime et qu’elle décrit avec affection.  Une culture toutefois aveuglée par la modernité qui ne voit plus rien sauf l’honneur. Les hommes surtout, mais les femmes également, qui tentent de préserver le passé comme un abri, protégeant leurs familles d’un monde trop cruel pour être affronté seul.

Un livre cruellement moderne, donc, qui jongle avec deux mondes différents. Dans le récit, ce sont les bureaux de Montréal qui nous font croire à la poussière afghane. Sans la salle de nouvelles et l’hôtel de ville, Kaboul ne pourrait pas prendre vie. Le drame montréalais permet de faire le pont avec le drame afghan. Tout comme à Kaboul, les femmes montréalaises servent le café.

Un roman qui est en fait un exploit de funambulisme. Il aurait été si simple de tomber dans le cliché et le lieu commun. Il aurait été facile de décrire la faiblesse de Soraya par rapport à la force et la liberté de Louise ou encore la cruauté des hommes, inexorablement hommes. Ouimet ne fait heureusement pas cette erreur.

C’est toutefois le manque de contraste des personnages qui donne son caractère à l’oeuvre complète. Ce n’est pas ceux qu’on imagine qui berceront les sanglots des autres.

« Ce qui est intéressant c’est qu’il y a Soraya, qui en principe n’a aucune liberté, et il y a Louise et Carole, qui ont beaucoup de liberté. C’est intéressant de voir ce qu’elles font avec cette liberté », détaille Mme Ouimet. « Quand on veut faire carrière, est-ce qu’on peut tout de même avoir des enfants? Est-ce que Louise et Carole sont plus heureuses que Soraya qui elle, n’a aucune liberté et qui est obligée de s’exiler ? »

Autant Soraya n’est pas respectée par sa tribu, Louise a la liberté de ne pas respecter la tienne. La question est de savoir si le bonheur sera au rendez-vous.

Les protagonistes sont toutefois mal dégrossis. Les personnages masculins, en particulier, auraient gagné à être développés davantage. Bien que les hommes ne sont pas le sujet du roman, l’oeuvre y aurait gagné en profondeur.

Au final, La Promesse est un roman puissant qui habite longtemps. C’est désespéré du sort du monde qu’on le dépose après la lecture. Son énergie nous insuffle toutefois une lueur d’espoir qui transporte et inspire.

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