Libre-échange avec l’Europe : L’industrie devra s’adapter

Les échanges économiques entre le Canada et l’Europe ont longtemps été intrinsèquement liés au développement économique du pays. Le nouvel accord de libre-échange avec l’Union européenne représente ainsi un immense potentiel de développement pour l’économie canadienne, mais inquiète néanmoins de nombreux intervenants.

Une réaction mitigée

Pour la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), l’accord avec l’Europe est vu d’un bon œil : « En principe, les propriétaires de PME soutiennent l’entente », explique Monique Moreau, Directrice des affaires nationales. « On est toujours à la recherche de nouveaux marchés pour écouler nos produits et services, donc on soutient de manière générale les accords ».

« On a beaucoup de membres dans de nombreux secteurs et c’est sûr que pour certains d’entre eux ça risque d’être compliqué, mais de façon générale on soutient l’accord », ajoute Mme Moreau. « Pour ce qui est des produits laitiers, on se rend compte que c’est une très petite marge à ce point-ci, mais nous verrons au moment de la signature l’impact réel sur nos membres ».

Le fait que les négociations se sont déroulées derrière des portes closes est toutefois grandement décrié : « Le concert d’acclamation qui a suivi l’annonce de l’entente ne s’applique sur rien puisqu’aucun texte n’a été révélé », s’exclame Pierre-Yves Serinet, Coordonnateur du Réseau québécois de l’intégration continentale (RQIC), « On est vraiment rendu au bout de la corde, on devrait revenir aux éléments de base d’un débat public parce que je pense qu’il y a un important déficit démocratique. Il y a des secteurs et des acteurs économiques, de gros joueurs également, qui risquent d’être touchés directement par l’accord ».

Craintes chez les fromagers artisans

Selon Louis Arsenault, Président de l’Association des fromagers artisans du Québec, les conséquences de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada sont majeures pour l’ensemble des producteurs et transformateurs du Québec. « Ils vont envahir littéralement notre marché », explique M. Arsenault.

En effet, l’accord prévoit une augmentation de 16 000 kg des importations canadiennes de fromage fin. Les producteurs artisans québécois ne produisent que 1 000 kg de fromage fin.

De plus, les fromagers européens profitent grandement d’une industrie largement subventionnée. « Dans la région des Pyrénées françaises, ces gens-là reçoivent en revenu de l’État au-delà de 45 000 euros par année. Le principal revenu des fromagers de là-bas, et bien, c’est l’État qui le fournit » rajoute M. Arsenault.

Les fromagers artisans du Québec n’auront ainsi pas d’autres choix que de recourir à l’aide de l’État, une idée qui ne plaît pas aux producteurs de fromages fins. « L’ensemble de nos membres sont des entrepreneurs, des gens qui avaient le goût de se lancer en affaire et d’être à leur compte parce qu’ils avaient la liberté d’avoir le plaisir de créer et de fonder une entreprise, mais là aujourd’hui on est rendu à un moment où on risque de devenir dépendant des programmes des gouvernements », rage M. Arsenault.

À la FCEI, on dit comprendre les enjeux auxquels font face les producteurs artisans de fromage, mais on considère que le jeu en vaut la chandelle et que, de toute façon, le gouvernement a mis en place des mesures permettant aux entreprises de s’adapter. « On comprend qu’il y a des craintes, mais le gouvernement a pris quelques moyens et mesures pour soutenir les entreprises durant cette période de changement-là », explique Mme Moreau. « Il y a plusieurs entreprises partout au Canada, ce n’est pas seulement les manufacturiers de produits laitiers qui vont pouvoir trouver des opportunités intéressantes ».

Espoir d’expansion chez les producteurs porcins

Contrairement aux producteurs fromagers, les producteurs de porc sont impatients de voir tomber les barrières tarifaires. Bien qu’elle reste prudente en attendant la ratification de l’entente finale, Gaëlle Leruste des producteurs de porcs du Québec explique que le marché européen est très convoité par les éleveurs québécois. « On accueille la nouvelle positivement puisque nous sommes présents sur les marchés d’exportation, donc c’est sûr que nous voyons l’accès à un nouveau marché d’un bon œil. L’Europe est, de plus, un marché qui est lucratif. Ils recherchent des produits à valeur ajoutée ».

Il reste toutefois beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir constater limpact direct sur les producteurs. « On voit ça comme un signal positif pour l’avenir, mais pour ce qui est de l’impact à court terme, il n’y en a pas du tout », lance Mme Leruste,« ça va prendre au moins 7 ans avant que l’accord de principe soit mis en application ».

Les producteurs de porcs font néanmoins face à des barrières non-tarifaires. Les normes d’élevage sont également différentes en Europe : « Je pense notamment aux cages de gestation qui ont été interdites en Europe le 1er janvier 2013, je ne suis pas sûre que les Européens vont faire entrer du porc élevé avec des méthodes différentes », affirme Mme Leruste.

« Concrètement, si nous avons accès au marché européen, il y aura une demande supplémentaire. On peut présumer que nos producteurs vont s’adapter et donc qu’il y aura de meilleurs revenus pour les producteurs », continue Mme Leruste. « On peut dire que pour la filière porcine canadienne ça peut représenter des millions de dollars, mais ce qui revient concrètement dans la poche des éleveurs, ça, ça reste à déterminer ».

Un accord de libre-échange semble ainsi créer beaucoup d’incertitude, mais également une bonne dose d’espoir chez les producteurs et entrepreneurs canadiens. Il reste de nombreux mois avant la ratification de l’accord et il est clair qu‘il s’agit d’un dossier qui sera suivi de près par l’industrie canadienne. Quoi qu’il en soit, l’économie canadienne s’en trouvera transformée pour le meilleur ou pour le pire.

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