Propagande, jeux de force et influences

Le conflit en Syrie s’éternise déjà depuis plus de deux ans, mais les événements semblent soudainement se bousculer depuis le 21 août, date à laquelle près de 1 300 personnes, incluant femmes et enfants, auraient perdu la vie à la suite d’une attaque au gaz chimique perpétrée par le régime de Bachar Al-Assad selon ses opposants.

Sabrina Zouaghi

Une vidéo où il est possible de voir plusieurs corps inertes, sans blessures visibles, et des enfants ayant l’écume à la bouche, circule sur les réseaux sociaux et dans les médias, ébranlant les esprits par les fortes images de la mort ayant frappé soudainement. Cette vidéo serait une preuve de ce qui est survenu le 21 août dans un quartier de Damas, mais plusieurs demeurent sceptiques quant à son authenticité ( après tout, il faut croire ce qui a été « posté » sur Facebook et nombreuses ont été les vidéos circulant sur Internet et dans les médias qui ont été trafiquées, surtout en Tunisie et en Égypte ) et à la véracité du lien entre les images et du contexte donné. Les conclusions qu’il est possible d’en tirer ne peuvent attester qui est l’auteur de cette attaque au gaz si attaque a eu lieu. Quelques médecins faisant partie du réseau Médecins sans frontières ont affirmé que les symptômes ressentis par plusieurs patients seraient dû à une neuro-intoxication provenant d’une inhalation de gaz. Quoiqu’il en soit, le nombre de victimes en Syrie
a augmenté.

Depuis que ces images circulent, le monde entier est aux abois. L’ONU a demandé à ce que son équipe dépêchée en Syrie pour enquêter sur de précédents raids ( pour déterminer s’il y a eu des attaques chimiques et non pas pour pointer l’auteur des crimes ) ait le droit d’investiguer les lieux le plus rapidement possible. Après avoir essuyé un « tir de sniper embusqué » le 25 août en se rendant dans la région de la Ghouta, l’équipe a pu se rendre sur place le lendemain et récolter des données qui ne restent plus qu’à être analysées, puisque les enquêteurs ont quitté la Syrie samedi dernier.

Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni d’urgence mercredi pour débattre d’un projet de résolution amené par les Britanniques qui aurait autorisé une frappe militaire en Syrie dans le but de protéger la population d’éventuelles attaques chimiques de la part du régime. Évidemment, la Chine et la Russie se sont opposées à un tel projet, la dernière demandant à ce que l’enquête se termine et que les analyses qui en sont tirées soient disponibles.

Moscou réfute la thèse selon laquelle le régime de Bachar Al-Assad ait utilisé des armes chimiques, alors que des enquêteurs allaient fouler le sol syrien ( bien que ces derniers aient attendu quatre jours avant de pouvoir entamer leur mission ) et que Damas nie toute implication dans cette tragédie. Avançant que le régime aurait pu utiliser ces armes depuis le début des hostilités, particulièrement lorsque les « rebelles » gagnaient du terrain, il n’aurait pas été dans son intérêt d’y avoir recours sur le moment. Selon toute logique apparente, il serait bien plus avantageux pour les opposants d’avoir recours à une telle arme, afin de permettre aux régimes occidentaux une porte d’entrée en Syrie et de redonner un nouveau souffle au mouvement des opposants. La Russie demande à ce que les preuves réelles et concrètes qu’allèguent détenir les États-Unis sur l’implication du régime syrien soient amenées devant l’ONU, afin d’éviter une certaine reproduction des événements d’Irak.

Pour les dirigeants occidentaux, nul doute ne subsiste quant à l’auteur du massacre de la Ghouta. Bien que devant prendre en compte l’opinion publique de leur pays, ils tentent de trouver un moyen de pouvoir intervenir militairement en Syrie. François Hollande a été le premier à s’exprimer en attestant qu’il allait rencontrer un conseil de défense à l’Élysée et qu’un débat parlementaire devrait avoir lieu le 4 septembre prochain. « La France est prête à punir ceux qui ont pris la décision effroyable de gazer les innocents », a-t-il dit lors de son discours. L’utilisation d’armes chimiques constituant la « fameuse ligne rouge à ne pas dépasser », Barack Obama s’est exprimé samedi dernier au Rosen Garden en affirmant que les États-Unis, l’un des plus vieux régimes démocratiques du monde, devraient intervenir militairement en Syrie et ne pas laisser ce crime impuni. Il se rendra devant le Congrès, fort probablement le 9 septembre, date où reprendront les activités des élus américains, afin de débattre sur le sujet et de procéder à un vote. Quant à David Cameron, il s’est empressé de tenir une séance sur la question. Après plus de sept heures de débat, les membres du Parlement se sont finalement exprimés contre une intervention à 285 voix contre et 272 voix pour, alors que le premier ministre désirait intervenir.

Un autre scénario se présente en Syrie et en Iran. En effet, les rebelles seraient les auteurs de cette attaque… ou accident ! Selon un article de Teheran Times, le chef des services secrets saoudiens, le prince Bandar ben Sultan aurait fourni à des groupes faisant partie de l’opposition syrienne des armes chimiques sans que ces derniers ne soient – réellement – informés sur la nature des armes, ni sur leur mode de fonctionnement. S’il est possible d’être assuré d’une chose, c’est que la propagande frappe les « deux côtés ».

Quoi qu’il en soit, les prochains jours seront forts en discussion. Qu’est-ce qui permettrait de légitimer une intervention légale en Syrie, État souverain ? Il faut avouer qu’il s’agit d’une situation – une autre ! – où le droit international semble flou sur la question. Bien qu’il existe un traité interdisant l’utilisation d’armes chimiques et qui est entré en vigueur en 1997, celui-ci ne lie que les Parties l’ayant ratifié ( voire jusqu’à une certaine mesure, signé ). Évidemment, la Syrie ne fait pas partie du lot, tout comme le Sud Soudan, l’Angola, l’Égypte et la Corée du Nord ( à noter qu’Israël et le Myanmar ont signé la Convention, mais ne l’ont pas ratifiée ). N’étant pas liée, elle n’est pas tenue de respecter ce qui y est dicté. La coutume internationale peut-elle faire en sorte que, bien que n’ayant pas signé, elle y soit souscrite ? Apparemment pas. Dans l’état actuel du droit international, la prohibition de l’utilisation de ces armes ne constitue pas une pratique constante, uniforme et générale et ne peut donc pas obliger un État souverain à se soumettre à cette norme sans son consentement. Il ne reste donc plus que le chapitre VII de la Charte des Nations unies qui prévoit une possible action militaire approuvée par le Conseil de sécurité, afin de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales. D’où l’importance de fournir des preuves détaillées à la Russie et à la Chine, afin de voter une résolution permettant une intervention sans qu’elles n’appliquent leur droit de veto qui viendrait bloquer toute opération légale. Il sera fort possible de voir des rapprochements entre les membres permanents du Conseil de sécurité lors de la rencontre du G20, qui se déroulera les 5 et 6 septembre à St-Pétersbourg.

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