Temps de crise… financière

Sous l’impulsion du président français Nicolas Sarkozy, qui a fait une visite éclair au Québec pour l’ouverture du Sommet, les 63 pays de l’OIF se sont entendus pour réclamer une rencontre internationale visant à régler la crise financière d’ici la fin de l’année. Cette rencontre devrait réunir les pays du G8, ceux du G5, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international et devrait se tenir sous l’égide de l’ONU, à l’invitation du secrétaire général Ban Ki-Moon. «La crise que nous traversons est une crise de la globalisation, elle exige qu’on mette en place des institutions qui soient adaptées. Ce projet répond bien aux valeurs de la Francophonie», a commenté le premier ministre français, François Fillon.

Pour les représentants du gouvernement canadien, le Sommet constituait le premier grand forum Nord-Sud où les pays pouvaient «tenter de comprendre ce qui leur arrive». Selon eux, les pays du Sud, davantage touchés par la crise alimentaire que par la crise financière, sont néanmoins «inquiets». «Ça leur donne la chance de voir venir la crise», a commenté un haut fonctionnaire canadien.

«Naturellement, avec la globalisation, la crise financière touche les pays d’Afrique. Elle va atteindre l’économie réelle et le prix des matières premières», a affirmé le président du Congo, Denis Sassou-Nguesso. Spécifiant que les diplomates africains ne sont pas «fâchés» du tournant qu’a pris le Sommet, il a néanmoins dénoncé la politique du «deux poids, deux mesures» régissant les actions de la communauté internationale, qui a investi des milliards dans la crise financière, alors qu’«on n’en demande pas tant» pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement.

Néanmoins, à la conférence de presse finale, Abdou Diouf, secrétaire général de l’OIF, a dû rassurer les journalistes africains sur la pluralité des discussions : outre la crise financière, la crise alimentaire, la crise environnementale ont fait l’objet de débats entre les diplomates. «Aucun problème n’a été occulté», a-t-il assuré.

Droits de l’homme
Le Sommet a soulevé la question des droits humains, ne serait-ce que par l’absence de la Mauritanie, suspendue à la suite du coup d’État du 6 août dernier. Il s’agit de la sanction la plus grave que peut dispenser l’organisation.

Amnistie Internationale a souligné, dans un rapport choc publié à l’occasion du Sommet, que la Francophonie compte plus que sa part de pays membres où les droits humains sont bafoués. «Nos deux grandes préoccupations concernant la Francophonie sont, d’une part, la torture, omniprésente dans la Francophonie, explique Dominic Leger, chargé de la Francophonie pour l’organisme de défense des droits humains. Onze pays membres n’ont pas signé la convention contre la torture. D’autre part, nous sommes préoccupés par le non respect des droits économiques, sociaux et culturels. Notre préoccupation vient du fait que, dans le sillage de la crise alimentaire, on remarque une grande problématique relative au droit à l’alimentation. Nous sommes aussi inquiets au sujet du droit à un logement décent, particulièrement au Cambodge.» Une action à ce sujet a d’ailleurs été entreprise dans les rues du Vieux-Québec samedi.
Sur le plan des droits, le Canada privilégie une approche inclusive favorisant un travail de l’intérieur avec les autres membres de l’OIF. «C’est avec cette approche que nous ferons des progrès : l’inclusion, le mentorat. Si on isole des pays qui font des progrès, on n’arrivera pas aux résultats escomptés», a déclaré samedi le porte-parole du premier ministre, Dimitri Soudas.

Pour Amnistie Internationale, «c’est le rôle du Canada de rappeler à ces pays leurs obligations. Il doit leur dire : vous avez été signataires, vous devez être conséquents, vous devez respecter vos engagements. Le dialogue est important, mais il faut également que le Canada joue un rôle de leader.» Dominic Leger croit que le Canada, malgré les récents accrocs aux droits humains (notamment dans le cas d’Omar Kahdr) est capable de rester le «chef de file» qu’il a déjà été dans ce domaine : «Il est capable parce qu’il l’a fait par le passé, il a été un chef de file pour ce qui est des mines antipersonnel et du désarmement. C’est vrai qu’avec le nouveau gouvernement, il y a moins de détermination à ce niveau-là et je pense que par conséquent, le gouvernement perd un peu sa réputation. C’est ce qu’on déplore.»

Au final, pour Dominic Leger, la Francophonie doit travailler davantage pour appliquer plus rigoureusement la déclaration de Bamako, adoptée en 2000, qui établit les exigences de la Francophonie en matière de droits. «Ce qu’on déclare c’est que oui, il y a une déclaration, ça n’a pas été suivi par un engagement ferme. Dans notre rapport, on soulève des préoccupations, mais elles ne semblent pas toujours trouver écho dans la Francophonie.» La déclaration de Québec, rendue publique dimanche, fait des efforts en ce sens, mais ne présente aucune mesure contraignante.

Comme plusieurs pays de la Francophonie ne respectent pas les droits humains, ils ne se bousculeront pas pour favoriser les sanctions. Les propos de Lansana Conté, le président de la Guinée, où 135 opposants au dirigeant auraient été tués par les forces de sécurité selon Amnistie, sont révélateurs : «En matière de relations internationales, la sévérité doit être relative. Il faut d’abord encourager les États membres à promouvoir les droits de l’homme avant de sanctionner au sens strict.»
Une organisation politique
«La Francophonie est passée d’une institution culturelle, basée sur une langue, ce qui reste notre base commune [à une organisation politique]», s’est aussi félicité le gouvernement canadien. «Il y a quelque chose de sain dans “l’approfondissement” de la Francophonie», a-t-on ajouté, commentant le nouveau statut de l’Arménie, un pays qui est passé au statut de membre cette fin de semaine. L’adhésion régulière de pays, comme cette fois la Thaïlande et la Lettonie, serait une occasion d’aller plus loin dans la promotion des droits de l’homme.

Langue française
Le premier ministre québécois, Jean Charest, a lourdement insisté sur l’importance de défendre la langue française à la clôture du Sommet. Il a lancé un «appel à la mobilisation», et la déclaration finale du Sommet de Québec comporte une proposition de pacte pour promouvoir la langue française partout sur la planète. «C’est la première mission qui incombe à la Francophonie : promouvoir notre langue; un instrument de liberté qui nous permet de nous inscrire dans les grands débats de notre planète, comme l’environnement», a souligné M. Charest, qui a été le seul à mettre en relief cet aspect.

Étonnement, il s’agissait du premier Sommet où la langue française faisait l’objet d’un débat. Néanmoins, les observateurs qui réclament un retour de l’OIF vers ses objectifs linguistiques resteront sur leur faim, à l’heure où le Rwanda, membre de l’organisation, a brusquement troqué le français pour l’anglais comme langue officielle et langue d’enseignement.
 

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