Dessin: Kamylia Gagné

Pourquoi a-t-on si peur des larmes des hommes?

« Je ne voulais pas pleurer parce que j’avais un rôle de leader », m’a avoué mon petit frère en parlant d’une compétition où il était capitaine. « Je sais que c’est stupide, mais je ne voulais pas montrer de signe de faiblesse ». Lui et moi avons été élevés dans la même famille. Une maison où nous avons toujours eu l’espace et le support nécessaire pour exprimer nos sentiments. Pourtant, du haut de ses 16 ans, mon frère a bien compris le message que la société lui a transmis. Son caractère masculin fait en sorte qu’il ne doit pas faire trop de vagues avec ses émotions, surtout en public.

« On est dans une profonde ambivalence par rapport à la question des genres », explique la stagiaire postdoctorale au Département de communication sociale et publique à l’UQAM Stéfany Boisvert. En réalisant sa thèse sur la représentation de la masculinité dans les séries télévisées en Amérique du Nord, elle a constaté que l’on représente de plus en plus de personnages masculins sensibles et tourmentés, mais que cette représentation est souvent accompagnée d’une revalorisation des caractéristiques masculines traditionnelles, comme la force, l’héroïsme au travail, la virilité, etc. Par exemple, si Ben Chartier de 19-2 pleure un bon coup, il révèle au téléspectateur son côté humain et vulnérable, mais seul dans son appartement. « C’est comme si on voulait dire d’un côté que c’est important de plus valoriser la sensibilité et l’expression des émotions chez les hommes, mais tant et aussi longtemps qu’ils continuent de faire ça en privé », explique la chercheuse. Montrer un homme qui pleure, c’est remettre en question deux caractéristiques les plus mises de l’avant par rapport à la masculinité hétérosexuelle : la force et l’indépendance. « Selon moi c’est le nerf de la guerre », dit Stéfany Boisvert.

Vers un changement de mentalité

On a de plus en plus conscience qu’il faut changer le modèle archaïque de la masculinité traditionnelle. The American Psychological Association a sorti en janvier dernier ses toutes premières lignes directrices pour la prise en charge psychologique des hommes et des garçons. Après 40 ans de recherche sur le sujet, l’association indique que « la masculinité traditionnelle est psychologiquement néfaste et que le fait de socialiser les garçons pour supprimer leurs émotions cause des dommages qui se répercutent à l’intérieur comme à l’extérieur ». Pourtant, en 2016, un sondage de YouGov mené aux États-Unis montre que 16 % des américain(e)s pensent encore qu’il est inacceptable pour un homme de pleurer en public.

« Pleurer est associé à un caractère féminin et ce n’est pas nouveau », souligne le professeur et chercheur en Masculinities Studies à l’Université de Calgary, Michael Kehler. « Il y a un plus grand répertoire de masculinité et de façons d’être un homme de nos jours », indique-t-il. Les caractéristiques de la masculinité changent dans de nombreux milieux comme celui des études de genre, mais les jeux de pouvoir sont encore très puissants entre plusieurs hommes qui discréditent les comportements qui se rapportent à la féminité. « Il y a eu une faille dans l’éducation sur ce qu’est la masculinité », explique Kehler. « Ce malentendu est lié à une notion très limitée selon laquelle la masculinité, ou le fait d’être un homme sont liés au sexe et à la biologie ».

En fait, la masculinité est une construction sociale et non une question biologique. Se dire « they are just boys being boys » ou « ils agissent comme ça à cause de leurs hormones » ne fait que renforcer ce malentendu. Michael Kehler, à travers ses recherches, montre qu’analyser la masculinité et la féminité à travers une lunette socioculturelle permet de beaucoup mieux comprendre les dynamiques de genre dans notre société.

Il faut alors réévaluer notre façon de concevoir le genre et les rapports de pouvoir qui y sont associés. Ceci passe par l’éducation et même si la transition est en marche, elle n’est pas encore atteinte. Si la masculinité toxique est néfaste pour les femmes, elle l’est aussi pour les hommes qui ne bénéficient pas d’une vision restrictive des rôles de genre. Critiquer la masculinité traditionnelle, ce n’est pas critiquer les hommes, mais bien certains construits sociaux qui sont néfastes pour la santé physique et mentale de tous. Montrer ses émotions et sa vulnérabilité et les assumer en public, c’est aussi ça être fort.

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