Photo par Marisa Santos

Les zillenials ou les enfants tristes

Le mois dernier, j’ai écrit aux Z. Cette fois-ci, j’ai envie d’écrire à ceux et celles né.es entre 1993 et 1998 : les zillenials. C’est pas parce que j’en fais partie, c’est juste que j’ai envie d’écrire à ceux et celles qui m’entourent. J’ai envie de prendre le temps de nous parler et de nous écouter.

Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre aux arts

Les séparations de génération, on s’entend, ce n’est pas à prendre pour du cash, mais faisons comme si on se prêtait au jeu, comme si on acceptait les paramètres. Les zillenials seraient né.es entre 1993 et 1999. De l’analogique au digital, des jeux vidéo de boîtes de céréales aux jeux en ligne, de Green Day à Soulja Boy, le zillenial est un enfant de la transition.

Récemment, j’ai lu Fragments d’un enfant du millénaire de Maxime Fecteau. En toute honnêteté, ce n’est pas l’œuvre de l’année, pour moi en tout cas, mais c’était une des premières fois où j’avais l’impression qu’on parlait de nous pour de vrai. La seule chose, c’est que même si on parlait de nous, on ne s’adressait pas à nous. Et là, j’ai envie de faire les deux.

Chuchoter

Je pense qu’on est nostalgique. Je dirais que c’est peut-être même notre trait le plus important. Je le sais que ce n’est pas coupé au couteau comme ça, mais j’ai l’impression que si les millenials sont dépressifs et que si les Z sont anxieux, nous on est un mauvais mélange des deux. Je pense qu’on est triste. Je pense qu’on se sent souvent vide. Je pense qu’avoir mal, c’est ce qu’on fait de mieux, ça, et ne pas faire de bruit.

C’est peut-être parce qu’on a été élevé par les X, par la génération sacrifiée, celle qui s’est fait bouffer ses richesses par les boomers. Les X ne sont pas très bruyants non plus, et peut-être que les silencieux engendrent d’autres silencieux. Et je pense qu’il n’y a pas de mal à être la génération qui écoute, parce que si tout le monde parle, on n’entend plus rien.

Et comme on écoute mieux qu’on parle, j’ai décidé de laisser les mots aux autres.

Funeral – Pheobe Bridgers

Pheobe Bridgers est sans doute ma découverte musicale de la dernière année. Ses deux albums recèlent en eux tout ce que je perçois autour de moi quand je nous regarde : l’envie de se prouver, l’eau salée qui irrigue les joues, la solidarité, les trous au fond des têtes. J’ai pleuré en écoutant Funeral pour la première fois.

« I have a friend I call / When I’ve bored myself to tears / and we talk until we think we might just kill ourselves / but then we laugh until it disappears / […] Jesus Christ, I’m so blue all the time / And that’s how I feel »

« J’ai un.e ami.e que j’appelle / à chaque fois que je m’ennuie toute seule jusqu’aux larmes / On parle jusqu’à ce qu’on se dise qu’on pourrait juste se suicider / puis ensuite on rigole jusqu’à ce que ça disparaisse / […] Jésus Christ, je suis triste tout le temps »

Six Speeds – Role Model

Être seul.e même avec les autres.

« I broke down last week / I couldn’t pick myself up / My momma called me last week / I started to cry when I hung up / I had a threesome last night / I woke up all alone / […] And I don’t want to cry, ’cause nobody ever cries if they’re tough / Leave me out to dry, just so I can lie with the rest of the stuff »

« J’ai éclaté la semaine dernière / Je ne pouvais pas me relever / Ma maman m’a appelé la semaine dernière / j’ai commencé à pleurer en raccrochant / j’ai eu un threesome la nuit dernière / et je me suis réveillé tout seul […] Et je ne veux pas pleurer, parce que personne ne pleure quand ils sont forts / Laisse-moi sécher, juste pour que je puisse mentir avec le reste »

Les matins – Angèle

« J’ai les yeux si rouges et bombés / Par la nuit ou par les pleurs / Draps usés ou mauvais rêve / Où es-tu? Y’a ton odeur comme seule trace de ton corps / Où es-tu? Tes mains me manquent, et moi, j’y crois encore / C’est les matins comme ça qui me font pleurer / Leur vérité me tue / Car la nuit a su me faire oublier / C’est les matins comme ça qui me font pleurer / Dès mon premier regard / Face à la nuit solitaire que j’ai passée »

Anxiété – Pomme

« Je suis celle qu’on ne voit pas / Je suis celle qu’on n’entend pas / Je suis cachée au bord des larmes / Je suis la reine des drames / Avant de partir, de te laisser tomber / Je ne peux pas mourir et tout recommencer / Je t’attends, je t’attendrai toujours derrière / Mais va t’en, va t’en, fais le détour, sois fière »

« Il faut que je te dise » – Marie Darsigny

« que je suis Stevie Nicks / Elizabeth Wurtzel/ Marie-Sisi Labrèche / Nelly fucking Arcan / je m’approprie les petits et les gros drames / de filles qui ont su crier un refrain / dont je connais les paroles par cœur […] / j’écrirai pages par-dessus pages / gondolées / de journal intime rose fluo / te donnerai la clé sans avoir le double / deviendrai amnésique vodka-soda / tu pourras jouer à recoller les morceaux / party de sous-sol, invite tes amis / cercle littéraire cheap / en mon honneur / je paye une quille de bière à celui ou celle qui mettra le doigt dans le bobo / jusqu’au coude / tu diras «c’était une crisse de folle » / j’apparaîtrai dans tes cauchemars / pour crier / « nous sommes toutes des crisses de folles »

« La vapeur du temps » – Maxime Fecteau

« Quand le millénaire est entré dans ma vie, il n’y avait pas encore d’attentes à mon égard – d’ailleurs d’avenir. Il y avait les choses immédiates et matricielles d’un temps éclatant : une encyclopédie et une bible enfantines, une console de jeu, les chocolats porte-à-porte, deux gratte-ciels de la grande ville en gros plan, etc. L’avenir était extrinsèque – les visions et les destinées appartenaient, atroces comme idéales, aux autres.»

Pour la suite du monde

On serait sûrement resté dans notre enfance bordée de mauve plus longtemps. Là, personne n’attendait rien de nous, et nous, on pouvait tout attendre du monde.

Les enfants aux souliers à lumière sont devenus grands. Constellations de jeunes adultes tristes. Des lignes qui n’existent pas entre nous, mais nous les voyons quand même.

« nous sommes le monde

mais nous le savons pas » – Marie-Andrée Gill

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