Beau comme un char neuf, laid comme…

Depuis que le monde est monde – qui aurait cru il y a 40, 50 ans, que ce sujet amené serait toujours aussi pertinent –, le laid fascine, tapi dans l’ombre, connoté si péjorativement qu’on évite de trop s’y intéresser, par peur, il faut croire, de s’en voir imprégné. Qualificatif sensible, on s’en distancie autant qu’on aime se faire voir avec son négatif, la beauté, concept-miroir dans lequel il est beaucoup plus plaisant de reconnaître ses propres traits. Leur complexité a intéressé l’équipe d’Impact Campus pour le numéro de ce mois-ci ; tenez bien votre copie à deux mains, on s’occupe du grattage de bobo.

En collaboration avec Jean-Sébastien Doré, chef de pupitre aux Arts et culture

« La différence entre la beauté et la laideur, c’est que la laideur, elle, au moins elle dure ! », aurait ou n’aurait pas dit – l’histoire ne le dit pas – le légendaire Serge Gainsbourg. Elle dure 84 pages pour être précis, un petit défi de réflexion et d’imagination que nous mijotions depuis que la transition entre l’hebdomadaire et le magazine mensuel s’est amorcée. Le laid n’étant pas une science exacte, nous avons abandonné en cours de route l’idée d’en proposer une formule définitive. Ainsi s’inaugurait un petit chantier : qu’est-ce que le laid ?

Peut-on le réduire à un statut de non-beauté ? Fortement subjectif, à quoi bon même essayer de l’illustrer si ce n’est que par bravade. Le laid, c’est quoi, c’est où, c’est qui ? Adultes conscients du poids des mots, pourrions-nous tout de même nous permettre cette salutaire régression dans l’inavouable ‒ nous nous le permettons bien chaque jour, sur Tinder ou ailleurs ‒ : que trouvons-nous laid ? Maintenant : pourquoi ? Bref, autour de la table comme dans les pages qui suivent, on se pose des questions.

Notre rapport au beau et au laid a nourri les plus grands créateurs de l’Histoire ; rares sont les penseurs dignes de ce nom qui n’y ont pas accordé la moindre attention. Le laid est une notion on ne peut plus changeante dans le temps comme dans l’espace – ainsi, peut-être qu’un gros détecteur de fumée spatial aurait eu de meilleures chances d’accueillir une équipe de hockey jadis ou bien, sait-on jamais, naguère. Nous avions l’embarras du choix lorsqu’est arrivé le moment fatidique de l’attribution des sujets de reportage ! Avouons alors tout de suite que l’exercice ne se veut pas exhaustif, chacun de nos journalistes ayant sélectionné une discipline à scruter et un angle particulier pour le faire. Prière toutefois de nous écrire si nous avons omis une évidence de laideur sans nous en rendre compte, l’hideux ne dort pas, nous non plus.

Au menu ce mois-ci (copier-coller la suite du texte ici-bas) :

Faire sortir le pus

D’où provient le malaise qu’on entretient socialement et individuellement autour des personnes grosses ? À quel moment un qualificatif est-il devenu à ce point péjoratif qu’on a puisé dans le langage médical (qu’on présume neutre) afin de préserver certaines sensibilités ? C’est le sujet de l’entretien éditorial de ce numéro, en compagnie du sympathique, brillant, allumé… et gros, Mickaël Bergeron, journaliste et animateur qui présente son premier essai La vie en gros,Regard sur la société et le poids. À lire en retournant ces pages.

L’avenir qui nous attend relève de l’utopie ou de la dystrophie ? Maude Rodrigue (p.36) et Ludovic Dufour (p.43) discutent des limites de l’être humain – objet de la pensée qui fascine depuis des lunes – constamment repoussées par la science et la fiction. Si pour vous, la modification génétique est un enjeu futuriste, vous serez contents d’apprendre que l’éthique nous protège de ses dérives éventuelles. Cela soulève toutefois plusieurs questions dans l’univers médical, qui gagne beaucoup à exploiter le potentiel de ces avancées technologiques.

Petit détour par l’architecture, l’urbanisme et le développement urbain, alors que William Lapierre a rencontré deux équipes d’étudiants ayant repensé le campus dans le cadre d’un cours en architecture. Notre campus gagnerait-il à être mieux organisé et plus beau ? Poser la question, c’est y répondre… à lire en page 23.

Dans la même veine, nous vous proposons une réflexion autour du projet de l’amphithéâtre de Québec, « l’éléphant blanc » qui trône sur Limoilou et qui pèse sur nos finances publiques. Que pouvons-nous collectivement attendre et apprendre de ce bâtiment ? Trois experts en discutent sous la plume de Raphaël Lapierre, en page 46.

Qu’attend-on collectivement des garçons en public ? Est-ce acceptable pour un homme de pleurer devant d’autres personnes ? Léa Martin soulève ses questions, et bien d’autres, dans sa chronique sur la masculinité toxique (p.31).

S’ensuivent deux réflexions sur le caractère social de la laideur et de son glorieux contraire, la beauté, de la part de deux de nos collaborateurs réguliers, Frédéric Aubé (p.54) et Bétiane Pierre (p.57).

Au musée des laids-arts

Ce mois-ci, la section des arts se marie à la thématique avec bon goût. En lever de rideau, Jean-Sébastien Doré s’entretient avec l’humoriste Coco Belliveau autour de son spectacle Laide (p.59).

Notre chroniqueur cinéma, Nathan Murray, propose une sélection de films grandioses dans leur manière de se saisir de cet objet litigieux qu’est le laid, l’abject. Les amateurs et amatrices du septième art en auront pour le mois entier, après la lecture de son texte en p.62.

Toujours pas rassasié(e)s ? Marc-Antoine Auger nous plonge dans le genre de l’horreur en s’intéressant aux différents courants ayant structuré ce champ artistique dans plusieurs pays, souvent en réaction à des périodes sombres, autant politiquement qu’économiquement (p.74).

Existe-t-il des universels en art ? La dissonance peut-elle devenir source de réconfort dans l’oreille d’un mélomane aguerri ? Simon Provencher se penche sur cette question en page 69.

Avides de critiques ? Chanel Langlois Lécuyer vous présente Cartographies III: Translations, un collectif de récits sur le déracinement (p.77), alors que Clara Mercier s’est rendue à la première de la nouvelle mouture d’Antigone, présentée par le Théâtre du Trident au Grand Théâtre de Québec. (p.78).

Instant de pause pour conclure ce numéro, avec une proposition de Valérie Marcoux dans la section fiction( p.79) qui nous invite à essayer Des pâtes aux oignons, de même qu’un poème de Marc-Antoine Thériault en page 82.

La rumeur dit que la laideur se loge dans l’œil de la personne qui regarde. À vous de découvrir ce que le miroir que nous vous proposons vous réserve.

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